La police tunisienne a dispersé jeudi en tirant des balles en caoutchouc une manifestation d'opposants à Sidi-Bouzid, berceau de la révolution de 2011, au moment où les critiques contre le gouvernement dominé par les islamistes se multiplient.

Les policiers ont procédé aux tirs de sommation et de gaz lacrymogène après que des centaines de manifestants, qui réclamaient la démission du gouvernement, ont tenté d'envahir le siège du gouvernorat (préfecture) de Sidi Bouzid (centre-ouest) en brisant le portail, selon un journaliste de l'AFP.

Une personne blessée par une balle en caoutchouc et quatre autres intoxiquées par le gaz ont été transférées à l'hôpital de la ville, a indiqué à l'AFP le surveillant général de l'établissement, Adel Dhaï, évoquant des blessures sans gravité.

Plusieurs partis d'opposition avaient participé au rassemblement comme le Parti républicain (centre), le Parti des travailleurs tunisiens (communiste), Al-Watan (la nation) et des indépendants.

«Les revendications du peuple relatives à l'amélioration de sa situation sociale deviennent de plus en plus insistantes mais malheureusement le gouvernement n'est pas au service de ce peuple», a déploré Mohamed Ghadri du Parti républicain.

Fin juillet, la police avait dispersé de la même manière à Sidi Bouzid des dizaines de manifestants qui avaient attaqué le gouvernorat pour protester contre des retards de salaires.

Le Parti des travailleurs a, dans un communiqué, dénoncé l'usage de la force par la police et exprimé son appui aux revendications des manifestants exigeant entre autres le limogeage du gouverneur (préfet), du chef de la Garde nationale et du procureur de la république.

Le parti communiste réclame dans son communiqué la libération de quatre manifestants interpellés jeudi, selon lui.

Sidi Bouzid est située dans une région particulièrement pauvre et marginalisée sous l'ancien régime. Or, selon des analystes, la situation ne s'y est guère améliorée depuis la révolution.

«Les habitants de Sidi Bouzid vivent dans des conditions très difficiles surtout ces derniers temps avec les coupures d'électricité et d'eau», relève le politologue Ahmed Manaï, «il fallait s'attendre à ces manifestations», dit-il.

Ennahda critiqué sur tous les fronts

La ville est le berceau de la révolte qui a abouti le 14 janvier 2011 à la fuite du président tunisien Zine El Abidine Ben Ali en Arabie saoudite.

Le point de départ avait été la mort le 17 décembre 2010 de Mohamed Bouazizi, 26 ans, un vendeur ambulant qui s'est immolé par le feu pour protester contre les saisies musclées de la police de ses marchandises.

L'intervention musclée de la police jeudi intervient au moment où l'opposition et la société civile accusent le gouvernement d'une dérive autoritaire et islamiste.

Plusieurs ONG craignent une remise en cause de la liberté d'expression après l'introduction d'un projet de loi punissant de peines de prison les atteintes au sacré. Autre polémique, une proposition d'article de la Constitution évoque la complémentarité et non l'égalité homme-femme.

Différents mouvements d'opposition ont ainsi réuni quelque 200 manifestants jeudi à Tunis devant l'Assemblée nationale constituante pour dénoncer ces mesures. Quelques dizaines de manifestants ont tenté de forcer le portail de l'ANC, mais la police les en a empêchés.

Jawher Ben M'barek, dirigeant du réseau Doustourouna, a relevé que cette manifestation avait réuni pour la première fois différents courants de l'opposition au gouvernement dominé par le parti Ennahda.

«C'est l'une des rares actions où tous les partis se retrouvent», a-t-il dit.

Ennahda rejette en bloc ces critiques, son chef, Rached Ghannouchi, ayant même accusé récemment des médias et des syndicats de «menacer l'unité du pays».