Au premier samedi de décembre, il faisait encore noir quand ils se sont rencontrés, rue Boylston.

Ils étaient une trentaine de blessés sur les 260 du marathon. Ils n'étaient pas encore revenus sur les lieux du crime. Ce matin-là commençait leur entraînement pour leur premier marathon.

«Il y a eu quelques larmes, des accolades, et on a commencé à courir», dit Dave Fortier, qui a réuni cette bande de non-coureurs, à qui l'on venait de remettre des laissez-passer.

Ils ne sont pas des 16 qui ont perdu une jambe. Certains ont tout de même passé des semaines à l'hôpital. Éclats de métal dans les muscles, perte d'ouïe, commotion cérébrale, choc post-traumatique...

Boston strong, sans doute, mais Boston à fleur de peau.

Tout le long du parcours qui part de la petite ville de Hopkinton, traverse six autres villes et se clôt à Boston, les drapeaux sont en berne.

«J'ai deux raisons de courir», a dit Amby Burfoot, gagnant de 1968, au temps où les Américains gagnaient encore «leur» course. «La première, c'est pour dire merci aux gens. Ce n'est pas les coureurs qui ont été visés, mais les spectateurs. Alors j'ai fait faire des cartes que je vais donner tout le long de la course, même si elles ne sont pas très jolies.

«La deuxième, c'est ça, je n'ai pas besoin de l'expliquer.» Et il nous a montré une camisole où il est simplement inscrit «MR8». Martin Richard, 8 ans, l'un des trois spectateurs morts ce jour-là.

On dirait que tout le monde court pour quelqu'un, pour une cause, pour une fondation, pour se souvenir.

Le «One Fund» a déjà distribué 61 millions reçus en dons aux victimes, selon la gravité de leurs blessures. «Il paraît que ça peut coûter 100 000$, une jambe, et qu'il faut la changer tous les cinq ans», me dit Fran Fiddler, de Floride, qui a amassé 12 000$ de son côté.

Vendredi, les journalistes tentaient de faire dire aux coureurs d'élite qu'ils étaient là eux aussi «pour ça».

Oui, bien sûr... Mais ils n'ont pas besoin de nouvelles raisons pour participer à la course la plus prestigieuse et la mieux dotée de la saison. Ce sera tout de même le groupe le plus relevé jamais réuni ici.

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À Hopkinton, une mère avec ses deux jeunes enfants fixe la ligne de départ, repeinte de frais. Elle a été bénévole pendant des années avant de finalement courir l'an dernier... jusqu'à 1 km du fil d'arrivée. Elle remet ça lundi.

«Je veux qu'ils aiment cet événement autant que moi, c'est imprégné en nous», dit-elle.

Les gens de Boston ont fait de cette course inaugurée en 1897 avec 15 athlètes téméraires une fête du printemps autant qu'un événement sportif. Ça se passe toujours le lundi de la fête des Patriotes, un congé propre au Massachusetts, qui rappelle la chevauchée nocturne de Paul Revere en 1775, annonçant l'arrivée des troupes anglaises.

Même quand à peine quelques centaines de coureurs participaient à la course, les spectateurs se massaient par centaines de milliers.

«En 1968, dit Burfoot, il n'y avait aucun contrôle de foule, et en haut de Heartbreak Hill, on faisait face à une mer humaine. J'étais comme Moïse: la mer s'ouvrait quand j'arrivais, et elle se refermait derrière moi. Je ne voyais plus celui qui me suivait! Je veux leur dire merci pour les frissons.»

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Ils ne reviennent pas tous. Bill Iffrig est ce coureur de 79 ans qu'on a vu tomber, soufflé par l'explosion.

«Je ne comprenais pas, me dit-il au téléphone depuis l'État de Washington. Je pensais que j'allais mourir. J'étais étendu dans la rue. J'ai regardé mon corps. J'avais tous mes morceaux. Je me suis levé et personne n'aurait pu m'empêcher de le finir. Ça m'a dégoûté que des gens puissent faire ça...»

On ne le reverra pas cette année. Le Boston Athletic Association ne l'a pas contacté, je sens qu'il en est un peu froissé, et de toute manière, il fêtera son 80e anniversaire en juin avec un autre marathon, son 52e...

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Le mémorial improvisé en plein air l'an dernier a été déplacé à la Public Library. Une expo intitulée Cher Boston, d'autant plus touchante qu'elle est toute simple, toute petite, avec des cartes, des lettres, des dessins venus de partout. Des souliers de course forment une sorte d'installation au milieu de la pièce.

Lundi, à quelques pas de course de là, Dave Fortier passera devant l'endroit précis où ses 30 rescapés ont été jetés par terre l'an dernier.

Il les attendra. Pour voir comment ils se sont relevés. Comment la ville s'est relevée.

Les adieux de papa Dick Hoyt

Ils n'étaient pas les bienvenus au début, mais 32 ans plus tard, Rick et Dick Hoyt avaient droit à une table à la conférence de presse des coureurs d'élite du marathon de Boston.

Vous avez peut-être vu leurs images. Un père qui pousse son fils handicapé dans un Baby Jogger vers le fil d'arrivée d'un marathon, et même d'un Ironman.

Ce sera le 32e et dernier marathon de Boston pour Dick, qui a maintenant 72 ans.

«Je devais arrêter l'an dernier, mais on n'a pas pu le terminer, la police nous a stoppés à deux kilomètres de l'arrivée», dit le père. «Rick ne prend pas sa retraite, par contre!»

Il est allé prendre la parole devant les survivants du marathon cet hiver. Certains ont perdu une jambe. «Ça m'a donné une autre raison de le refaire», dit-il.

S'ils sont devenus une fierté du marathon - au point d'avoir leur statue à la ligne de départ -, ça n'a pas toujours été le cas.

Les gens du marathon de Boston étaient bien embêtés quand ils ont vu arriver Dick et Rick Hoyt, il y a 32 ans.

Ce n'était pas un athlète en fauteuil roulant. Ce n'était pas non plus un coureur conventionnel.

Rick avait 20 ans. Atteint d'une forme sévère de paralysie cérébrale, il ne peut ni marcher ni parler. Il communique, une lettre à la fois, en cognant sa tête sur le côté de sa chaise. Il a dit à son père qu'il voulait courir avec lui. Et tout a commencé, sans autre but que le plaisir d'être ensemble et de rouler.

«À 20 ans, quand nous avons eu Rick, je devais avoir deux jobs pour payer ses soins. Je n'avais pas vraiment le temps de jogger...»

Mais à force de s'y mettre, il en est venu à rêver à Boston. Il fallait se qualifier: un temps de 3h20 était requis pour un homme de son âge. Dur, mais faisable.

«Oui, mais vous courez en équipe, alors c'est le temps du plus jeune qui compte: vous avez besoin de 2h50», lui a répliqué la Boston Athletic Association, qui gère la course depuis 1897.

«C'était une façon de nous repousser, ils ne croyaient pas qu'on pourrait faire ça», me disait vendredi le père Hoyt.

Eh bien, il l'a fait: 2h45 à Washington. Il avait beau avoir fait du football et du basket, pour un homme de 40 ans sans passé de coureur, c'est proprement ahurissant.

«Les gens nous regardaient drôlement au début, ils n'avaient jamais vu ça...»

De marathon en marathon, et même en Ironman (il traîne son fils dans un bateau flottant), les Hoyt sont devenus des héros que la BAA a habilement récupérés comme emblèmes du marathon. Un exemple émouvant de dépassement, de dévouement, d'amour paternel et filial.

Un truc qui les a étonnés eux-mêmes. Ils ont leur fondation, leurs livres, leur «équipe»... et leur statue.

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Wes Harding, de Sarnia en Ontario, est un de ceux-là. Il courra à leurs côtés lundi, comme l'an dernier.

Ce directeur d'école obèse s'était fait virer de bord dans une boutique de souliers de course quand il a dit qu'il voulait courir un marathon, il y a six ans. «Vous ne courrez jamais de marathon!», lui a dit la vendeuse en le toisant.

Le lendemain, déprimé, il a vu une vidéo de Dick et Rick Harding, qui se concluait par trois lettres écrites péniblement par Rick: c-a-n. Tu peux.

Après avoir couru de nuit en catimini, en repensant alternativement à la vendeuse et à Rick Hoyt, ne sachant trop qui avait raison, il a finalement perdu 35 kilos et s'est qualifié pour Boston.

«Les deux avaient raison: je ne pouvais pas courir un marathon dans l'état où j'étais! Mais en même temps, je le pouvais si je décidais de repousser cette limite.»

Il a démarré un organisme (myTEAMTRIUMPH) qui jumelle des coureurs et des personnes handicapées pour différentes courses. Quelques minutes de légèreté...

L'an dernier, à Boston, il venait de franchir la ligne d'arrivée quand les bombes ont explosé.

Quelques minutes plus tard, tandis que les ambulanciers se portaient à la rescousse des blessés au milieu du fracas, il a vu Dick Hoyt portant son fils de 51 ans dans ses bras, rentrant à l'hôtel.

Après le deuil, les blessures, toute cette fragilité, Boston sera bien content de voir passer une dernière fois ce duo improbable.

Photo Wikimedia Commons

Dick Hoyt participera à son 32e et dernier marathon de Boston en compagnie de son fils handicapé Rick.

Le «petit frère» Tsarnaev risque la peine de mort

Dans le bateau où il s'était terré, ensanglanté, dans une cour de la banlieue de Boston, il a écrit: «Les États-Unis tuent des innocents... Arrêtez de tuer des innocents et nous arrêterons.»

C'était trois jours après l'attentat du marathon et il s'attendait à mourir là pendant que la police le cherchait.

Le procureur général des États-Unis y voit une preuve de la pleine responsabilité de Djhokhar Tsarnaev. Il requerra donc la peine de mort s'il est déclaré coupable de l'attentat qui a fait 3 morts et 260 blessés.

La peine de mort a été abolie au Massachusetts, mais elle existe encore pour les crimes fédéraux.

Personne ne doute vraiment que le jeune homme de 19 ans sera déclaré coupable des 30 accusations qui pèsent sur lui - utilisation d'explosifs, d'armes de destruction massive causant la mort, etc.

Ce à quoi s'emploient ses avocats, c'est lui éviter l'exécution.

«Il y a deux procès dans un: un pour déterminer la culpabilité; et après, un autre, avec le même jury, pour décider si l'on doit infliger la peine de mort», explique l'avocat David Frank, qui suit l'affaire pour le Massachusetts Lawyers Weekly.

Le procès a été fixé au 3 novembre, une date qui paraît «très peu réaliste» compte tenu de la preuve à décortiquer et des enjeux. Tsarnaev est défendu par une équipe de procureurs publics fédéraux réputés, qui se plaignait encore mercredi de la quasi-impossibilité de respecter ce délai.

Le complot, la présence de l'accusé, ses liens avec le matériel explosif: la preuve paraît écrasante.

Quelle défense, alors? On évoque la preuve de troubles mentaux.

Une défense d'aliénation mentale ne permettrait probablement pas d'éviter la déclaration de culpabilité. «Le but véritable d'une preuve de troubles psychologiques serait d'éviter la peine de mort», avance David Frank. Le degré d'intention et de responsabilité est crucial au moment de déterminer si l'on exécutera le condamné.

C'est pourquoi la défense s'emploie à reconstruire l'histoire familiale troublée du jeune homme, ses relations avec ses parents, son père d'origine tchétchène, son passé au Daghestan, dans le Caucase, l'influence de son frère Tamerlan...

Tamerlan, 26 ans, était sur le radar du FBI et des services secrets russes dès 2011. Il avait fréquenté un réseau musulman radical dans la région de Boston. Il consultait des sites salafistes. En 2012, il a fait un long séjour au Daghestan et on soupçonne qu'il aurait été en contact avec des militants islamistes. On le soupçonne en outre d'avoir trempé dans le meurtre non résolu de trois jeunes hommes égorgés dans un appartement de Waltham, au Massachusetts, le 11 septembre 2011 - une des victimes était présumément son «meilleur ami».

Tentera-t-on de démontrer que c'est lui qui a manipulé son jeune frère? Tamerlan ayant été abattu par la police dans la chasse à l'homme qui a suivi le marathon, il ne sera pas là pour répondre.

En tout cas, l'avocate principale, Judith Clarke, qui a plaidé plusieurs affaires de peine de mort, n'est sûrement pas là pour faire un procès politique à la défense de l'islamisme radical.

On s'attend plutôt à ce qu'elle avance la théorie du «petit frère», pour lui épargner l'injection létale.

Et quand Tsarnaev en aura fini avec la justice fédérale, le procureur local promet qu'il fera face à un procès pour le meurtre du policier du MIT qu'il a tué dans sa fuite, peu importe l'issue du premier procès.

PHOTO ARCHIVES AP/VK.COM

Djhokhar Tsarnaev