Les attentats de Bruxelles sont «indiscutablement un échec» pour la Belgique, a reconnu mercredi le premier ministre belge Charles Michel, refusant toutefois que son pays soit qualifié d'«État défaillant».

«Quand il y a un attentat comme celui-là, il y a bien sûr un échec», a estimé M. Michel au cours d'une conférence devant la presse internationale à Bruxelles. Mais «je ne peux pas accepter l'idée qu'il y aurait un État défaillant» en Belgique, a-t-il souligné, alors que le pays est accusé de laxisme depuis les attentats de Paris du 13 novembre 2015.

Il a fallu «quelques mois» à la Belgique pour arrêter Salah Abdeslam, le suspect-clé de ces attaques, a fait valoir M. Michel, «pour arrêter ben Laden, on a mis dix ans».

Le premier ministre belge a relevé que la Belgique avait condamné une centaine de personnes dans des dossiers terroristes en 2015. «Un État défaillant ne serait pas en situation» de le faire, a-t-il insisté.

«Nous sommes un petit pays au coeur de l'Europe (...), une plaque tournante depuis laquelle il est aisé d'organiser des attentats dans d'autres pays européens», a observé M. Michel.

Comme cela a été le cas avant les attaques de Paris, «à Bruxelles (...) des personnes avaient été repérées par l'un ou l'autre service» d'enquête, mais cela ne les a pas empêchées de passer à l'acte, a reconnu le premier ministre.

«C'est là qu'il y a un travail majeur» à faire, a ajouté M. Michel, qui plaide depuis des mois pour un «FBI ou une CIA à l'européenne» et la mise en place d'une «plateforme systématique» d'échange d'informations entre services de renseignement européens.

Muscler son arsenal antiterroriste

Gardes à vue prolongées, perquisitions de nuit, bracelet électronique : la Belgique, souvent taxée de laxisme depuis les attentats de Paris, veut muscler son arsenal législatif antiterroriste, mais les mesures envisagées tardent à être mises en place.

Depuis les attaques du 13 novembre à Paris et Saint-Denis, «nous avons pris 30 mesures concrètes», a annoncé mercredi le premier ministre belge, Charles Michel, au cours d'une conférence de presse. «Quelques-unes ont été mises en oeuvre, mais pour une part il faut encore travailler pour les rendre effectives», a-t-il reconnu.

Plusieurs dispositions visent à réviser en profondeur le code d'instruction criminelle : autoriser les perquisitions de nuit, élargir la garde à vue de 24 à 72 heures, mettre sous bracelet électronique les personnes fichées.

Le gouvernement belge s'est également engagé après le démantèlement de la cellule djihadiste de Verviers en janvier 2015 à renforcer la capacité d'action des enquêteurs dans des domaines connexes aux activités terroristes comme le trafic d'armes.

Et plusieurs partis politiques réclament, depuis les attentats-suicides du 22 mars à Bruxelles, l'introduction de peines incompressibles, deux des kamikazes, Ibrahim et Khalid El Bakraoui, n'ayant pas respecté les termes de leur libération conditionnelle, échappant aux radars des services de renseignement.

«Il y a urgence à agir», relève le député socialiste Sébastien Pietrasanta, rapporteur de la commission d'enquête parlementaire sur les attentats du 13 novembre. «La coopération entre Paris et Bruxelles est excellente, mais la législation belge n'est plus adaptée», estime-t-il.

Mais le dispositif peine à être mis en place. «La loi sur les perquisitions de nuit n'est pas encore adoptée et la prolongation de la garde à vue requiert de réviser la Constitution», note Adrien Masset, avocat et professeur de droit pénal à la faculté de Liège (est de la Belgique).

Toute révision constitutionnelle implique l'obtention de la majorité des deux tiers à la Chambre des représentants et au Sénat. «Il va falloir un accord politique très large entre le gouvernement et l'opposition, ce qui n'est pas garanti au vu des frictions entre Wallons et Flamands», souligne Marc Uyttendaele, avocat au barreau de Bruxelles.

Quant au bracelet électronique, aucun projet de loi n'a été présenté et des zones d'ombre demeurent : devra-t-il être porté par les combattants revenus de Syrie? Également par les personnes fichées pour des velléités de départ vers les terres du djihad?

«Des mesures prises dans l'odeur de la poudre»

Certains experts s'interrogent sur l'efficacité des dispositions annoncées. «Il faut faire attention à des mesures prises dans l'odeur de la poudre qui ne sont au final que des effets d'annonce pour rassurer la population», met en garde Adrien Masset.

La Belgique s'est dotée à partir de 2003 d'une législation antiterroriste remaniée à plusieurs reprises.

«Nous avons un dispositif répressif suffisant, mais nous n'avons pas les moyens de l'appliquer. Si ces nouvelles mesures ne s'accompagnent pas d'une augmentation de moyens, cela ne servira pas à grand-chose», observe Marc Uyttendaele.

La question du bracelet électronique suscite par exemple des interrogations en termes de logistique.

Selon les dernières données du parquet fédéral belge, près de 300 «combattants» belges sont actuellement en Syrie, 117 sont rentrés et il y aurait plus de 220 candidats potentiels au départ.

«Il n'y a pas assez de bracelets pour les détenus de droit commun et nous n'avons pas assez d'effectifs pour surveiller toutes les personnes parties ou rentrées de Syrie», juge Pierre Chomé, professeur de droit pénal à l'Université libre de Bruxelles.

200 millions d'euros (près de 300 millions de dollars CAN) supplémentaires en 2015 et 400 millions en 2016 ont été alloués à la lutte contre le terrorisme, souligne Charles Michel.

Mais les services d'enquête sont débordés et restent pénalisés par un manque d'effectifs. 313 dossiers liés au terrorisme ont été ouverts par le parquet fédéral belge en 2015, déjà plus de 76 en 2016.

En France, le Sénat a voté mardi le projet de réforme pénale qui met en place des peines de perpétuité réelle et crée de nouveaux délits comme la consultation habituelle de sites internet djihadistes et le séjour intentionnel sur un théâtre étranger d'opérations terroristes.

-Avec Sophie Deviller