L'opposante birmane Aung San Suu Kyi, qui a remporté une victoire écrasante aux législatives du 8 novembre, a fait son retour lundi au parlement en tant que députée, avec en ligne de mire le délicat passage de relais promis par les héritiers de la junte au pouvoir.

« Préparons le terrain pour permettre au nouveau Parlement de travailler », a lancé le président de l'Assemblée, Shwe Mann, devant des centaines de députés sortants, dont Aung San Suu Kyi, députée depuis des législatives partielles en 2012 où son parti avait déjà remporté la quasi-totalité de la quarantaine de sièges offerts.

Avec à la main deux roses rouges, Aung San Suu Kyi est arrivée seule, au dernier moment, suivie par des dizaines de caméras. L'air solennel pour cette première apparition publique depuis l'annonce de sa victoire historique, après 30 ans de lutte, elle n'a pas souhaité s'exprimer.

Sa Ligue nationale pour la démocratie (LND) avance en effet sur des oeufs: un de ses porte-parole, Win Htein, a confié dimanche soir à l'AFP son « inquiétude que l'histoire ne se répète » et que « la transition ne soit pas à 100 % parfaite ».

Une partie des troupes du parti au pouvoir, l'USDP, marqué par une défaire cuisante aux législatives, manquait à l'appel. Les députés militaires, contingent non élu qui occupe 25 % des sièges, étaient quant à eux arrivés avant tout le monde, en uniforme, refusant de faire toute déclaration.

« J'appelle tous les députés à travailler jusqu'à la fin de la session », qui doit s'achever fin janvier 2016, a ajouté Shwe Mann, lui même balayé par le raz-de-marée électoral du 8 novembre. Il s'agit de voter le budget dans les prochaines semaines.

Bizarrerie du système birman, Aung San Suu Kyi et sa quarantaine de députés de la LND se retrouvent coincés jusqu'à fin janvier dans le rôle d'opposition parlementaire face aux 331 députés de l'USDP pro-pouvoir. Le nouveau Parlement - dominé à quelque 80 % par la LND, sans compter les 25 % de députés militaires - n'entrera en fonction que début 2016, sans doute en février ou mars. Viendra alors seulement le temps des réformes par Aung San Suu Kyi et son équipe.

Cette transition de plusieurs mois, héritage de la junte autodissoute en 2011, est « stupide », avait prévenu Aung San Suu Kyi avant même les élections. « C'est incroyable, nulle part ailleurs dans le monde il n'existe un tel écart entre la fin des élections et la formation de la nouvelle administration », avait-elle déclaré début novembre.

Pas de date de négociations 

L'heure est aux tractations en coulisses à Naypyidaw, la capitale administrative. Et Shwe Mann a d'ores et déjà proposé à Aung San Suu Kyi une rencontre à ce sujet jeudi. Mais le président Thein Sein et le chef de l'armée, acteurs clefs de la transition, n'ont pas encore donné de date à Aung San Suu Kyi, qui a sollicité un entretien avec eux.

Dans ce contexte d'incertitude, rares étaient lundi les députés sortants à vouloir parler lors des suspensions de séance.

« Bien sûr, nous sommes inquiets pour la période de transition. Car transférer le pouvoir sans négociations est inquiétant sur le long terme », a confié à l'AFP Khaing Maung Yi, député du parti NDF (né d'une scission du parti d'Aung San Suu Kyi en 2010), défait aux élections du 8 novembre.

« Le nouveau parlement sera plus intéressant. Ce sera intéressant de voir quel genre de président nous aurons », ajoute-t-il, bon perdant.

En effet, la première étape du nouveau Parlement en février ou mars, sera de choisir le prochain président.

Aung San Suu Kyi ne pourra pas se présenter en raison d'un article de la Constitution qui bloque l'accès à la fonction suprême aux personnes ayant des enfants de nationalité étrangère. Or ses deux enfants sont britanniques.

Mais elle a indiqué qu'elle entendait bien être la chef de file du gouvernement, se plaçant « au-dessus du président ».

Son parti, assuré de pouvoir imposer son candidat à la présidence en raison de sa majorité absolue, n'a pas révélé le nom de sa doublure.

La LND a annoncé lundi qu'elle recevrait le 28 novembre à Rangoun les centaines de députés de son parti élus, l'occasion de célébrer une victoire pour l'heure soumise aux négociations en coulisses.