(Islamabad) Les partisans de l’ex-premier ministre Imran Khan, actuellement emprisonné, sont en bonne voie samedi pour obtenir une majorité de sièges après les législatives au Pakistan, mais ils pourraient être écartés des négociations pour la formation d’une coalition gouvernementale.  

Bien que confronté à une féroce répression des autorités, le Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI) d’Imran Khan a surpassé les attentes. Les candidats indépendants qu’il soutenait obtiennent 87 sièges, selon un décompte officiel dans la nuit portant sur 243 des 266 circonscriptions.

Il devance La Ligue musulmane du Pakistan (PML-N) de Nawaz Sharif, la favorite du scrutin, créditée de 69 sièges. Le Parti du peuple pakistanais (PPP), de Bilawal Bhutto Zardari, est troisième, faisant lui aussi mieux que prévu avec 51 sièges.

Faute de majorité absolue, ces trois blocs devront négocier des alliances. La PML-N apparaît la mieux placée pour y parvenir, mais toutes les options restent ouvertes.  

« Nous invitons les autres partis et les candidats vainqueurs à travailler avec nous », a déclaré Nawaz Sharif, 74 ans, qui a déjà exercé trois mandats de premier ministre, au quartier général de son parti à Lahore (est).

Rentré au Pakistan en octobre après quatre années d’exil à Londres, il aurait le soutien de l’armée, selon les observateurs.

Le parti d’Imran Khan n’a lui pas été autorisé à figurer sur les bulletins de vote, ses candidats se présentant comme indépendants.  

L’Assemblée nationale compte 336 députés, mais 70 sièges sont réservés aux femmes et aux minorités religieuses, et alloués proportionnellement par la Commission électorale en fonction des résultats précédents. Faute d’autorisation à concourir sous ses couleurs, le PTI ne peut prétendre à aucun de ces sièges.  

Deux partisans du PTI tués

Les indépendants ne peuvent former eux-mêmes un gouvernement et disposent de 72 heures pour décider s’ils rejoignent un groupe parlementaire ou non, ce qui joue aussi contre le PTI. Cela laisse le temps à ses rivaux de courtiser les indépendants qu’il soutient.  

Les candidats pro-PTI ont surtout remporté des sièges dans la province du Khyber Pakhtunkhwa (nord-ouest), son fief, où deux de ses partisans ont été tués et 24 blessés dans des émeutes vendredi soir, dans les premières violences post-électorales rapportées.  

Jeudi, 16 personnes ont été tuées au cours de 61 attaques recensées, selon le ministère de l’Intérieur. La veille, 28 personnes avaient péri dans deux attentats à la bombe.

PHOTO BANARAS KHAN, AGENCE FRANCE-PRESSE

Manifestation à Quetta, le 9 février

Fondés sur des dynasties familiales et traditionnellement rivaux, la PML-N et le PPP se sont partagé le plus clair du pouvoir avec l’armée, depuis des décennies.

Ils ont déjà travaillé ensemble et pourraient renouveler l’expérience. Ils avaient formé un gouvernement de coalition, sous la direction de Shehbaz Sharif, le frère de Nawaz, après l’éviction d’Imran Khan du poste de premier ministre par une motion de censure en avril 2022.

Le PPP s’est ensuite distancé de la PML-N pendant la campagne et semble avoir moins pâti de l’impopularité de ce gouvernement.  

Son chef de 35 ans, fils de l’ancienne première ministre Benazir Bhutto, assassinée en 2007, s’est montré critique à l’égard de la PML-N. Mais la politique pakistanaise est coutumière des revirements et arrangements a priori contre nature.

« Recompter les votes »

Pour les électeurs d’Imran Khan, la conclusion risque d’être douce-amère. Beaucoup ont la conviction que la victoire leur a été volée, les retards dans le dépouillement n’ayant fait qu’ajouter aux multiples soupçons de manipulation.

La Commission électorale a invoqué des « problèmes de l’internet » pour expliquer la lenteur du processus. La coupure par les autorités des services de téléphonie et de l’internet mobiles jeudi avait déjà alimenté les doutes quant à la régularité des élections.

La campagne avait également été marquée par des accusations de « fraudes pré-électorales », avec la mise à l’écart du populaire Imran Khan, 71 ans, condamné à trois longues peines de prison.  

« Même si le PTI n’arrive pas à former un gouvernement, les élections montrent qu’il y a une limite à la manipulation électorale », fait valoir à l’AFP Bilal Gilani, directeur exécutif de l’institut de sondage Gallup Pakistan.  

« Cela montre que l’armée n’obtient pas toujours ce qu’elle veut ».

Washington et Londres ont exprimé vendredi leurs « préoccupations » sur le déroulement des élections.

Le Pakistan, qui dispose d’un arsenal nucléaire, occupe une position stratégique, entre l’Afghanistan, la Chine, l’Inde et l’Iran.  

Des manifestations ont aussi eu lieu vendredi soir à Peshawar, capitale du Khyber Pakhtunkhwa, et à Quetta au Baloutchistan.  

« On nous a changé nos résultats », proteste Muhammad Saleem, un commerçant de 28 ans qui a bloqué avec quelque 2000 partisans du PTI une grande artère de Peshawar.

La posture anti-establishment d’Imran Khan, ancienne star du cricket, continue de nourrir sa popularité, malgré un passage au pouvoir marqué par une détérioration économique.

Il a défié de front l’armée, qui a dirigé le pays pendant des décennies et était pourtant présumée l’avoir soutenu lors de son élection en 2018. Il l’a accusée d’avoir orchestré sa chute en 2022 et lui a attribué ses ennuis judiciaires.