L’affrontement en cours entre deux factions militaires au Soudan a de graves répercussions au Darfour, région de l’ouest du pays, qui se retrouve plongé de nouveau dans la tourmente 20 ans après l’éclatement d’un conflit d’envergure ayant fait des centaines de milliers de morts.

Tant les Nations unies que les organisations de défense des droits de la personne multiplient les mises en garde depuis quelques semaines quant à la prolifération d’attaques dans la région contre des civils basées sur leur appartenance ethnique.

Le représentant spécial de l’organisation internationale pour le Soudan, Volker Perthes, a prévenu récemment que certaines de ces attaques pouvaient potentiellement constituer des « crimes contre l’humanité ».

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Il a dénoncé plus spécifiquement l’action de milices arabes et de membres des Forces de soutien rapide du général Mohamed Hamdan Dagalo, dit « Hemedti », qui est originaire de la région.

Des hommes armés issus de leurs rangs sont notamment accusés d’avoir tué des centaines de personnes lors d’un assaut contre la ville d’al-Genaïna à la mi-mai.

Le New York Times rapportait récemment, en se basant notamment sur le témoignage de survivants réfugiés au Tchad, que des tireurs embusqués avaient été positionnés pour abattre les civils fuyant les lieux.

Le Haut-Commissariat aux réfugiés s’est alarmé à son tour mardi de la situation au Darfour en soulignant que les combats s’intensifiaient et que « la dimension ethnique que l’on avait observée dans le passé est malheureusement en train de revenir ».

« Relancer les purges »

« Hemedti cherche à profiter de la situation instable du pays pour relancer les purges ethniques entreprises il y a 20 ans et faire partir les populations non arabes du Darfour », note Marie Lamensch, analyste rattachée à l’Institut montréalais d’études sur le génocide et les droits de la personne de l’Université Concordia.

L’ex-président soudanais Omar el-Béchir avait fait appel notamment à des milices arabes de la région, appuyées par l’armée, pour mater des groupes rebelles non arabes au début des années 2000.

Tant Mohamed Hamdan Dagalo que son ennemi, le général Abdel Fattah al-Burhan, qui chapeaute aujourd’hui l’armée soudanaise, avaient joué un rôle important dans le conflit.

Omar el-Béchir a été chassé du pouvoir en 2019 et arrêté à l’issue d’un important soulèvement populaire suivi par la formation d’un gouvernement de transition chargé de mener le pays vers de nouvelles élections.

Après plusieurs rebondissements, le processus a tourné court en 2021 lorsque les deux généraux ont décidé de se réapproprier le pouvoir.

La direction de l’armée a réclamé par la suite l’intégration des membres des Forces de soutien rapide dans ses rangs en proposant un calendrier rapide qui a suscité l’ire de leur chef.

PHOTO FOURNIE PAR L’AGENCE FRANCE-PRESSE

De la fumée s’élevant dans le ciel de Khartoum, début juin

Le conflit a abouti en avril à des combats d’envergure ayant eu pour effet de paralyser la capitale, Khartoum, avant de s’étendre ailleurs au pays.

Les trêves qui ont été annoncées depuis n’ont pas tenu. Aucun des deux hommes ne veut abandonner même si la crise risque de s’étendre dans toute la région.

Marie Lamensch, analyste rattachée à l’Institut montréalais d’études sur le génocide et les droits de la personne de l’Université Concordia

Dans une récente analyse, l’International Crisis Group (ICG) prévient que le territoire soudanais risque à terme de se retrouver morcelé entre les Forces de soutien rapide à l’Ouest, l’armée au Nord et à l’Est et d’autres groupes armés ayant profité de la crise pour élargir leur territoire.

« Gagner du temps »

L’organisation relève qu’aucun des généraux engagés dans le conflit n’a « négocié de bonne foi » jusqu’à maintenant.

« Ils s’accusent mutuellement de vouloir utiliser tout arrêt des combats pour regrouper leurs forces et préparer le prochain round, ce qui explique pourquoi aucune trêve ne tient », soulignent les chercheurs.

L’ICG pense que la création d’un nouveau gouvernement de transition formé de technocrates au pouvoir limité pourrait être la meilleure avenue à suivre pour le pays si les belligérants finissent par cesser les hostilités sous la pression de la communauté internationale.

Une telle solution a peu de chances de satisfaire les organisations civiles souhaitant chasser rapidement l’armée du pouvoir, mais pourrait permettre de « gagner du temps » en attendant que des solutions durables aux problèmes minant le pays soient trouvées, prévient-on.

Violents combats à Khartoum à la veille d’un « triste » Aïd

Les combats ont fait rage mardi à Khartoum entre les paramilitaires qui menacent de prendre la ville et l’armée qui appelle désormais tous les jeunes du Soudan à s’engager sous les drapeaux, à la veille de l’importante fête musulmane de l’Aïd al-Adha. Dans la capitale, les combats entre l’armée, dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhane, et les Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdane Daglo se concentrent désormais autour des bases militaires. Depuis plusieurs jours, les FSR tentent de prendre les dernières bases de l’armée dans la capitale où se terrent encore des millions d’habitants. Les FSR ont pris le QG de la police et son immense arsenal dans le sud de Khartoum, et elles ont harcelé mardi l’armée sur des bases dans le centre, le nord et le sud de Khartoum, ont rapporté des habitants à l’AFP. Si elles prennent ces dernières bases, elles auront pris le contrôle de Khartoum, assurent les experts.

Agence France-Presse