Sit Al Nafoor Ahmed, dite « Sitto », est l’une des 44 victimes de la violente répression qui vise, au Soudan, l’opposition au coup d’État militaire du 25 octobre. Ses proches décrivent une artiste pleine de rêves, patriotique et en perpétuelle quête de justice.

(Khartoum) « Sitto », c’est le surnom de Sit Al Nafoor Ahmed. Cette Soudanaise de 22 ans fait partie des 44 victimes de la féroce répression menée par les forces de l’ordre contre l’opposition au coup d’État perpétré le 25 octobre par le général Abdel Fattah al-Burhane.

Elle a reçu une balle dans la joue gauche, le 17 novembre, date à laquelle les militaires auraient dû laisser les rênes du Conseil souverain de transition aux civils, avec qui ils partageaient le pouvoir jusque-là.

« Sitto », c’est le surnom de Sit Al Nafoor Ahmed. Cette Soudanaise de 22 ans fait partie des 44 victimes de la féroce répression menée par les forces de l’ordre contre l’opposition au coup d’État perpétré le 25 octobre par le général Abdel Fattah al-Burhane. Elle a reçu une balle dans la joue gauche, le 17 novembre, date à laquelle les militaires auraient dû laisser les rênes du Conseil souverain de transition aux civils, avec qui ils partageaient le pouvoir jusque-là.

« Dans le bus, avant que nous atteignions la manifestation, Sitto m’a dit qu’elle sentait que quelque chose allait se passer aujourd’hui. Je lui ai répondu qu’elle pouvait descendre si elle avait peur. Mais elle n’avait pas peur », raconte Eman (son nom a été modifié pour des raisons de sécurité). Moins de deux heures plus tard, Eman conduisait son amie, le visage en sang, à l’hôpital de Bahri, grande ville de près de 1 million d’habitants séparée de la capitale du Soudan, Khartoum, par le Nil bleu.

Depuis, le large sourire, les yeux clairs, le brillant décorant sa narine droite et le sage foulard blanc de Sitto sont brandis lors de chaque « marche du million ». En gagnant une nouvelle icône dans sa lutte pour la démocratie, le Soudan a perdu une héroïne au grand cœur.

PHOTO MARWAN ALI, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Des manifestants contre le coup d’État militaire protestent à Khartoum le 17 novembre, jour où Sit Al Nafoor Ahmed a été tuée.

Un déclic

Mobilisée de longue date pour la justice et contre le racisme, Sitto a eu un déclic, le 2 février 2019, en apprenant la mort d’Ahmed Al-Khair, enseignant ayant succombé à la torture dans les geôles du régime d’Omar el-Béchir – déchu deux mois plus tard.

Elle a commencé à manifester dès le lendemain. Les terribles conditions de la mort de ce professeur l’ont convaincue de réclamer un pays plus sûr et plus juste.

Fadwa Ahmed, sœur de Sit Al Nafoor Ahmed

Peu avant sa mort, la benjamine de cette fratrie de sept membres a peint les murs de cette pièce en blanc, disposé deux fauteuils chocolat et un tapis assorti, puis suspendu de fins rideaux rouges et or.

Diplômée en premiers secours par l’hôpital de Bahri, Sitto était avant tout une créatrice. Elle traversait régulièrement le Nil pour rejoindre la place Atina, un repaire de jeunes artistes entouré de boutiques de bibelots artisanaux, pour y vendre les bijoux qu’elle confectionnait. Elle comptait exporter, pour quelques mois, son talent en Arabie saoudite ou aux Émirats arabes unis, avant de rentrer se marier avec son fiancé et d’ouvrir son propre commerce.

PHOTO AGENCE FRANCE-PRESSE

Des protestataires brandissent un drapeau soudanais lors d’un rassemblement à Khartoum, lundi.

Aider les orphelins et les malades

« Sitto voulait gagner de l’argent pour aider sa famille, car l’une de ses sœurs est décédée il y a deux ans, laissant ses trois neveux orphelins », explique Alaa Omer, à la fois cousine et meilleure amie de la défunte. Entre avril et juin 2019, toutes deux se rendaient quotidiennement au sit-in qui réclamait la formation d’un gouvernement civil, avant d’être démantelé dans le sang, faisant au moins 127 morts.

Dans leur salon, les sœurs et la mère de Sitto enchaînent les anecdotes sur l’enfant rebelle de la famille, qui entonnait des chants révolutionnaires dès le réveil et redonnait le sourire à tout être déprimé. Deux amis de cette dernière débarquent soudain avec une imposante fontaine à eau, achetée grâce à une collecte de dons en ligne, pour soutenir le foyer endeuillé. Très émue, son amie Enass Mohammed, organisatrice d’évènements, se souvient que « Sitto [lui] répétait de planifier une vente caritative d’accessoires artisanaux pour aider les orphelins et les malades du cancer ». « Je voulais le faire, mais je devais passer un examen, alors j’ai attendu. J’ai commencé à rassembler les créatrices. L’évènement devrait avoir lieu en début d’année. »

Déterminés à obtenir justice

Cette quête de justice, la « martyre » l’a héritée de sa mère, qui préfère toutefois garder ses distances vis-à-vis du mouvement révolutionnaire. « Tout ce qui l’intéresse, c’est d’acheter de la nourriture sur le marché et de cuisiner pour les orphelins du quartier », résume sa belle-fille. Sitto avait, elle, l’habitude de collecter les vieux habits de ses voisins, de les faire réparer à ses frais, puis de les livrer aux plus démunis, dans les banlieues défavorisées. « Si quelqu’un lui disait que ces endroits étaient dangereux, elle répondait que l’on meurt seulement une fois et qu’elle n’avait pas peur », précise sa sœur.

Le 1er décembre, le père de Sitto, plombier à la retraite, a porté plainte. Il peut compter sur le soutien de dizaines de milliers de jeunes Soudanais. Parmi eux, Amona Faisal, amie d’enfance de Sitto, qui déclarait, au cœur de la manifestation du 30 novembre, que « toutes les Soudanaises considèrent cette révolutionnaire comme leur sœur [et qu’elles allaient se] battre pour elle ». Eman, amie et témoin du meurtre de Sitto, confirme : « Je me suis promis et j’ai promis à la mère de Sitto que justice lui serait rendue. Avant la marche du 17 octobre, je me posais des questions sur l’intérêt de continuer à manifester et sur le sens de ma vie. J’ai désormais trouvé l’objectif de ma vie. »

*Son nom a été modifié pour des raisons de sécurité