La venue à Québec d'un proche conseiller du président du Burundi indispose le gouvernement canadien et provoque des remous au sein de la diaspora burundaise. Ottawa s'est montré critique au cours des derniers mois envers le régime burundais, qu'il a accusé « d'opprimer sa propre population ».

Willy Nyamitwe, porte-parole et conseiller en communication du président du Burundi, doit participer demain à Québec à une « conférence-débat » sur la situation qui prévaut dans ce petit pays d'Afrique de l'Est déchiré par une violente crise sociale et politique depuis maintenant 15 mois.

L'événement, intitulé « Les vrais enjeux de la crise au Burundi », est organisé par « la diaspora burundaise en collaboration avec l'ambassade du Burundi au Canada », explique l'invitation.

« Le Canada n'a pas été officiellement informé des participants à cette conférence », a indiqué le ministre des Affaires étrangères, Stéphane Dion, dans une déclaration écrite transmise à La Presse par son bureau.

« Toute tentative des autorités [burundaises] de déplacer le débat au Canada représenterait une distraction regrettable, inutile et inopportune », a ajouté le ministre Dion, rappelant que « le Canada a clairement appelé à un dialogue constructif, ouvert et inclusif entre les parties prenantes au conflit au Burundi, sous la médiation internationale proposée par les pays de la région ».

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Le Burundi est plongé dans le chaos depuis que le président Pierre Nkurunziza a brigué et obtenu l’an dernier un troisième mandat que plusieurs jugent inconstitutionnel

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Le 1er juillet dernier, le président Pierre Nkurunziza a participé aux célébrations du jour de l’Indépendance dans la capitale burundaise.

Le Canada s'est montré critique à l'endroit du régime burundais depuis le début de la crise, en avril 2015, après la décision controversée du président Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat.

Le ministre Dion affirmait notamment en décembre dernier que le gouvernement burundais était « sous observation » et qu'il devait « cesser d'opprimer sa propre population ».

Joint par La Presse à son arrivée à Montréal, hier soir, Willy Nyamitwe a répliqué que « ce n'est pas le dialogue burundais qui est déplacé au Canada », estimant plutôt qu'il « y a un besoin de pouvoir expliquer, de pouvoir donner une autre version des faits » sur ce qui se passe au Burundi, puisque les informations rapportées par les médias, notamment canadiens, « souvent, ne sont pas conformes à la réalité du terrain ».

Assurant que Bujumbura a bel et bien informé Ottawa de sa venue et qu'un visa lui a d'ailleurs été délivré, M. Nyamitwe a réfuté que la conférence ne présenterait que le point du vue du gouvernement burundais, se disant « ouvert au débat contradictoire » et assurant que tous « auront droit de parole ».

DIASPORA DIVISÉE

La venue du porte-voix du régime burundais crée aussi des remous au sein de la diaspora burundaise établie au Canada, dont une partie est aux abois.

L'Alliance des Burundais du Canada (ABC) déplore la tenue de cette conférence, qu'elle considère comme « une séance de désinformation du gouvernement du Burundi », a indiqué à La Presse Charles Makaza, porte-parole du regroupement.

L'ABC dénonce le déséquilibre des points de vue qui seront représentés lors de cet événement, qui se tiendra dans un édifice municipal de l'arrondissement des Rivières, à Québec.

Outre Willy Nyamitwe, les organisateurs ont invité le militant belge d'extrême droite Luc Michel, qui aurait été embauché comme conseiller politique du président burundais, rapportait en mai dernier l'agence de presse belge Belga, ce qu'a nié le porte-parole du président.

Contacté par La Presse, ce dernier n'avait pas répondu au moment de publier ces lignes.

Un membre de la communauté burundaise du Canada ainsi que le professeur à la faculté de droit de l'Université de Montréal Amissi Manirabona compléteront le panel.

Ce dernier a reconnu « des dérapages » du pouvoir burundais, estimant cependant que les organisations de défense des droits de l'homme qui dénoncent des exactions « exagèrent » et accusant l'opposition de recourir à la violence.

Le président de la communauté burundaise de Québec, qui est l'un des coorganisateurs de la conférence, rejette les accusations de partialité, affirmant plutôt que l'événement est « neutre ».

« C'est la suite du dialogue amorcé au Burundi par le président de la République », dit Anthony Nkurunziza, qui n'a aucun lien de parenté avec le président burundais.

Si la conférence n'oppose pas au porte-parole du président burundais des représentants des opposants à son gouvernement, c'est parce que les organisateurs n'en ont pas trouvé, explique M. Nkurunziza.

Les membres de la diaspora burundaise qui soutiennent le régime du président Pierre Nkurunziza, un Hutu, seraient principalement des réfugiés de longue date, qui ont fui les massacres des années 60 et 70 commis par le régime tutsi de l'époque envers les Hutus, a expliqué à La Presse un membre de la diaspora proche des opposants au régime, s'exprimant sous le couvert de l'anonymat.