Il fut le premier acquitté du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Bourgmestre, comme les deux ex-fonctionnaires jugés pour génocide depuis une semaine à Paris, il a raconté mardi avoir été «totalement dépassé» par le déchaînement de violences en 1994.

Le témoignage d'Ignace Bagilishema, 61 ans, crâne dégarni sur des épaules carrées, vaut de l'or pour les deux accusés, même s'il ne les connaît pas.

Lui était bourgmestre de la commune de Mabanza, dans le sud-ouest du Rwanda frontalier de l'ex-Zaïre, de 1980 à 1994. Eux se sont succédé à la tête de Kabarondo, dans le sud-est, proche de la Tanzanie.

Mais il sait une chose: «j'ai fait ce que j'ai pu pour maintenir la sécurité. Mais, après l'assassinat du président (hutu) Juvénal Habyarimana (qui fut le déclencheur du génocide, NDLR) le 6 avril, j'ai été totalement dépassé. Je n'avais plus aucune autorité, j'ai même été menacé, je ne pouvais rien faire».

Accusé de participation au génocide des Tutsi, qui fit plus de 800 000 morts en cent jours, il a été acquitté par le TPIR en 2001 et vit aujourd'hui en France.

Octavien Ngenzi, 58 ans, et Tito Barahira, 65 ans, sont accusés d'avoir été les «donneurs d'ordre» de massacres effroyables de centaines voire de milliers de Tutsi, en particulier dans l'église du village le 13 avril.

Les deux hommes, qui ont successivement administré cette commune rurale de 1976 à 1994, encourent la réclusion criminelle à perpétuité. Ils rejettent tous deux ces accusations. Leurs avocats ont présenté Ngenzi comme un «homme doux, dépassé par les événements» et Barahira comme un édile à la retraite auquel on a prêté «une influence démesurée».

«On ne pouvait plus prêcher l'unité»

À la barre, l'ex-maire - ou bourgmestre, selon la terminologie héritée du colonisateur belge - de Mabanza témoigne d'une «administration difficile à partir de 1990», quand commencent les attaques des rebelles tutsi du Front patriotique rwandais (FPR) qui lance depuis l'Ouganda une offensive qui allait aboutir quatre ans plus tard à la prise de Kigali et mettre fin au génocide.

«La population a commencé à se diviser, entre ceux qui étaient pour les attaquants et ceux qui étaient contre. Dans ma commune, des Tutsi envoyaient leurs enfants au front, auprès du FPR», explique-t-il, assumant d'avoir alors établi «des listes de jeunes qui avaient rejoint l'ennemi». «J'étais un agent de l'État. J'aurais été en faute si je ne l'avais pas fait».

Dans ce pays très centralisé, où le bourgmestre a autorité sur la police locale, il dit son impuissance après la mort du président Habyarimana: «tout le monde disait qu'il avait été tué par le FPR. On ne pouvait plus prêcher l'unité nationale». À Mabanza les vagues de réfugiés se succèdent et le 13 avril, il voit ses maigres effectifs policiers et quelques gendarmes quitter la commune pour le front, à la demande du préfet. C'est le feu vert pour les tueurs.

Ignace Bagilishema dit devoir son salut à son attitude -- il a «aidé des gens», «établi des cartes d'identité» pour des Tutsi, n'a cessé d'alerter les autorités quant à la dégradation de la situation -- mais aussi à l'attitude du TPIR, qui a accepté un transport sur les lieux -- ce qui n'a pas été le cas pour Ngenzi et Barahira. «Cela a permis de voir que beaucoup de témoins mentaient, ne pouvaient m'avoir vu ou entendu d'où ils étaient».

Alors que les parties civiles rappellent qu'au Rwanda, sur douze bourgmestres jugés pour génocide, dix ont été condamnés, l'avocate de Ngenzi, Françoise Mathe, demande au témoin: «Monsieur Bagilishema, est-ce qu'on peut dire que le seul bourgmestre innocent est un bourgmestre mort ? » Il répond simplement: «Ce n'est pas vrai. Je suis vivant».