Trois morts, des explosions de grenades et des tirs nourris: la capitale burundaise Bujumbura a connu une nouvelle nuit de tensions à la veille des élections législatives et communales controversées de lundi pour lesquelles tout est cependant «prêt» selon la commission électorale.

Ces violences nocturnes se sont concentrées dans des quartiers périphériques de la capitale (Jabe, Musaga, Kanyosha) foyers du mouvement de contestation populaire déclenché fin avril par la candidature du chef de l'État Pierre Nkurunziza à un troisième mandat lors de la présidentielle qui doit suivre, le 15 juillet, les premiers scrutins de lundi.

Au moins sept grenades ont explosé et des tirs de mitrailleuses ont retenti à plusieurs reprises.

Deux civils ont été tués, l'un par balle par des policiers et l'autre dans l'explosion d'une grenade, selon leurs proches. D'après le porte-parole de l'armée, Gaspard Baratuza, la troisième victime est un soldat, tué accidentellement par un autre militaire lors d'une intervention dans une habitation visée par une attaque à la grenade.

Dans la journée, les quartiers périphériques restaient sous tension, mais le calme était globalement revenu à Bujumbura, où des policiers patrouillaient et contrôlaient quelques voitures.

La population restée sur place - une bonne partie a quitté la ville, partant se réfugier en province ou au Rwanda voisin de crainte d'une attaque de grande ampleur à l'approche des scrutins - vaquait à ses occupations, certains effectuant même leur jogging dominical.

Mais selon des témoins, le week-end a aussi été tendu dans quelques localités de province. Notamment dans la commune de Mutaro, province de Gitega, où la police a arrêté trois membres de l'opposition samedi, provoquant la colère de la population qui a commencé à couper les routes.

Matériel acheminé

Ni ces incidents, ni les appels de la communauté internationale à reporter les scrutins, ni l'annonce de leur boycottage par l'ensemble de l'opposition ne semblent cependant perturber les plans de la Commission électorale (Céni).

«Depuis ce (dimanche) matin, le matériel est acheminé (...) vers les centres de votes», a affirmé devant la presse son président, Pierre-Claver Ndayicariye. Quelque 4,8 millions d'électeurs sont appelés aux urnes dans 11 493 bureaux de vote.

Le président de la Céni a affirmé n'avoir jamais reçu la lettre annonçant officiellement le boycottage de l'opposition et considérait, par conséquent, que les élections se dérouleraient comme si toutes les listes participaient.

L'opposition a jeté l'éponge, car elle affirme avoir été dans l'impossibilité de faire campagne et la cible permanente de menaces. Elle a aussi accusé la Céni d'être aux ordres du pouvoir et relevé que depuis mi-mai, date d'un putsch manqué également motivé par la candidature de Pierre Nkurunziza à la présidentielle, les informations indépendantes ne circulaient plus puisque plus aucune radio privée ne pouvait émettre.

La violence a gagné en intensité tout au long de la semaine, à mesure qu'approchaient des élections que le pouvoir burundais dit ne plus pouvoir reporter en raison d'un risque de vide institutionnel: selon lui, les élections doivent avoir lieu vite, car le mandat de Pierre Nkurunziza arrive à échéance le 26 août.

L'annonce de la candidature de Pierre Nkurunziza - déjà élu en 2005 et 2010 - à un troisième mandat, a pourtant plongé le petit pays d'Afrique des Grands Lacs dans une grave crise dont beaucoup craignent qu'elle ne débouche sur de nouvelles violences à grande échelle.

Les anti-troisième mandat le jugent anticonstitutionnel et contraire à l'Accord d'Arusha qui avait permis de mettre fin à la longue guerre civile (1993-2006) dont le pays peine encore à se remettre.

Le mouvement de contestation qui a débuté avec l'officialisation de la candidature de M. Nkurunziza a été violemment réprimé par la police, parfois à balles réelles. Il a aussi donné lieu à des heurts avec les jeunes du parti au pouvoir (les Imbonerakure, une milice selon l'ONU).

Depuis fin avril, au moins 70 personnes sont mortes et plus de 120 000 Burundais ont aussi fui dans les pays voisins le climat préélectoral délétère.

La crise en cinq questions

QU'EST-CE QUI A DÉCLENCHÉ LA CRISE?

L'officialisation le 25 avril de la candidature du président Pierre Nkurunziza à un troisième mandat a déclenché dès le lendemain des manifestations, quasi quotidiennes jusqu'à ce que la répression parvienne, mi-juin, à les étouffer.

Interdites, ces manifestations, concentrées à Bujumbura et dans quelques localités de province, ont été marquées par des affrontements avec la police et sévèrement réprimées, parfois à balles réelles.

La crise couvait depuis plusieurs mois, l'opposition dénonçant les velléités du président de se représenter, mais aussi la restriction de l'espace démocratique, le climat de terreur entretenu par les Imbonerakure (membres de la ligue de jeunesse du parti au pouvoir CNDD-FDD) et la captation partisane de l'organisation des scrutins.

La Cour constitutionnelle a validé la candidature de M. Nkurunziza, mais le vice-président de l'institution a fui le pays, affirmant que les magistrats avaient subi des pressions pour signer un document rédigé d'avance.

QUELS ENJEUX POUR LA CRISE?

Selon les contestataires, un nouveau mandat de M. Nkurunziza, élu en 2005 et 2010, viole la Constitution et l'Accord d'Arusha qui avait permis la fin de la guerre civile ayant opposé, entre 1993 et 2006, l'armée alors dominée par la minorité tutsi (environ 15% de la population) et des groupes rebelles hutu (environ 85%).

En faisant fi de l'Accord d'Arusha, le président met en péril à terme le savant équilibre ethnique que le texte consacre au sein du pouvoir et des institutions et qui a apporté 10 ans de paix au Burundi, après des décennies de massacres entre Hutu et Tutsi.

Au-delà des autres motifs de colère contre M. Nkurunziza (autoritarisme, répression de toute contestation, échec de la lutte contre la pauvreté, corruption...), c'est le maintien d'Arusha en tant que socle démocratique au Burundi qui est en jeu, selon les observateurs.

UNE CRISE ETHNIQUE?

Des cadres du CNDD-FDD ont accusé les Tutsi d'alimenter la contestation. Certes, la société civile, en pointe dans l'animation de la contestation, est dominée par des Tutsi et ce sont eux qui ont le plus à perdre d'une remise en cause d'Arusha, «leur assurance-vie», selon un analyste.

Mais le front anti-Nkurunziza transcende les lignes ethniques: l'opposition réunit des partis hutu et tutsi et son principal opposant, Agathon Rwasa, est le chef historique des FNL, la plus ancienne rébellion hutu.

Le chef de l'État est contesté jusque dans les rangs du CNDD-FDD, dont certains cadres frondeurs ont fui le pays. Quant au chef du coup d'État militaire avorté des 13 et 14 mai, le général hutu Godefroid Niyombare, il fut l'un de ses compagnons d'armes dans la rébellion qu'était le CNDD-FDD pendant la guerre civile.

Mais à l'approche des élections, des observateurs craignent une instrumentalisation des anciens antagonismes Hutu-Tutsi, toujours dans les esprits.

POURQUOI LE BOYCOTTAGE DES ÉLECTIONS?

Opposition et société civile jugent les conditions pour des élections crédibles pas remplies.

Elles réclament le désarmement des Imbonerakure - une «milice», selon l'ONU -, des garanties sur la sécurité et la réouverture des radios privées, empêchées d'émettre depuis le putsch manqué. Elles dénoncent également une Commission électorale acquise au pouvoir depuis que deux de ses cinq membres ont fui.

La communauté internationale estime aussi que le climat ne permet pas des élections crédibles et demande leur report, ce que refuse Bujumbura, arguant de délais constitutionnels à tenir.

QUELLES PERSPECTIVES?

Peu d'observateurs se hasardent à prévoir l'issue de la crise. Nombre d'entre eux soulignent sa gravité, susceptible de saper 10 ans de progrès démocratiques et de paix.

La fuite en avant d'un pouvoir de plus en plus isolé, sourd aux pressions internationales, privé de financement par ses bailleurs, semble réelle. Et une partie des adversaires de M. Nkurunziza, opposants échaudés par l'échec d'une contestation pacifique et contraints à l'exil ou putschistes en fuite, pourraient être tentés par les armes.

Un retour de la violence à grande échelle pourrait déstabiliser la région des Grands Lacs, qui a connu son lot de conflits depuis deux décennies. Plus de 100 000 Burundais ont déjà trouvé refuge dans les pays voisins.