Le chef de Boko Haram a lui-même ordonné de «tuer toutes les femmes» de son fief de Gwoza, dans le nord-est du Nigeria: c'est ce que rapporte un homme enrôlé de force dans les rangs islamistes et témoin du «carnage».

Dans un entretien à l'AFP, ce fermier de 35 ans, Usman Ali, raconte que des insurgés sont arrivés le vendredi 13 mars au soir dans son village de Kilekasa, à 55 km de Gwoza.

C'est depuis la ville de Gwoza, dans l'État de Borno, que l'introuvable leader des insurgés, Abubakar Shekau, avait proclamé l'an dernier un «califat», avant que l'armée nigériane n'affirme vendredi en avoir repris le contrôle, à la veille de l'élection présidentielle.

«Shekau roulait dans une jeep Toyota noire», dans un convoi de plus de 40 camionnettes surmontés de mitrailleuses, a indiqué vendredi ce fermier, qui a réussi à s'enfuir.

Le chef islamiste s'est ensuite rendu au village de Huyum, à environ 5 km de là, et le matin suivant tous les habitants de Kilekasa ont été rassemblés et des armes distribuées aux hommes physiquement aptes.

«On n'avait pas le choix», lâche Usman Ali. Un homme qui tentait de s'enfuir a été exécuté devant tout le monde.

«Le dimanche 15 mars, Shekau a rassemblé ses hommes, y compris nous, les nouvelles recrues, et il s'est adressé à nous. Il a dit qu'ils devaient retourner à Gwoza et tuer toutes les femmes qu'ils avaient laissées derrière eux», poursuit Usman Ali.

«Il a dit que s'ils ne les tuaient pas, ils ne les retrouveraient pas au paradis. Ils nous ont amenés à Gwoza, où nous avons assisté au carnage».

Dans des localités qu'il avait conquises, le groupe armé avait marié de force des femmes à ses combattants.

«Ils ont rassemblé les femmes qui étaient en grand nombre, et ont ouvert le feu sur elles», affirme ce témoin, sans pouvoir préciser le nombre de victimes.

Aucune trace des filles de Chibok

«L'une des femmes, qui était à un stade très avancé de sa grossesse, a demandé à être épargnée jusqu'à ce qu'elle accouche de son bébé, mais sa demande a été rejetée».

Gwoza avait été conquise par les insurgés en juin 2014. Avant la reprise de cette ville annoncée par les forces armées nigérianes, ils ont été chassés d'un grand nombre de localités du Nord-Est depuis le lancement début février d'une opération régionale menée par le Nigeria et les pays voisins, Tchad en tête.

Le fermier indique être retourné à Kilekasa plus tard le jour du massacre. A la tombée de la nuit, il fuyait vers Yola, la capitale de l'État voisin d'Adamawa.

«Je ne sais pas ce qu'il est advenu des gens dans le village. Quand nous sommes allés à Gwoza, nous n'avons vu aucune trace des filles de Chibok. Elles ont dû être emmenées ailleurs», ajoute Usman Ali.

Kilekasa se trouve à une quinzaine de km de Chibok, ville où plus de 200 lycéennes avaient été enlevées en avril 2014. Avec ce rapt de masse, Boko Haram s'était attiré une notoriété internationale, en même temps qu'il avait soulevé une immense indignation.

Nombre de spéculations ont couru sur une éventuelle présence à Gwoza des 219 jeunes filles de Chibok toujours aux mains de Boko Haram.

Un autre habitant, Haruna Abubakar, avait déjà fui Gwoza pour un camp de déplacés à Yola. Sa tante, elle, a quitté la ville le 16 mars et lui a raconté le massacre perpétré la veille.

«Elle m'a dit que Boko Haram avait quitté la ville trois jours plus tôt, de nuit, dans plusieurs véhicules. Ils sont revenus dimanche et ont tué leurs femmes, alors que certaines étaient enceintes», relate-t-il à son tour.

«Elle a dit qu'il n'y avait plus de combattant de Boko Haram quand elle a quitté Gwoza», précise-t-il.

Et d'ajouter: «Quand je lui ai demandé où se trouvaient les filles de Chibok, elle m'a dit qu'elles n'étaient pas à Gwoza».