Une cour égyptienne se penche jeudi sur l'appel des trois journalistes d'Al-Jazeera emprisonnés pour avoir «soutenu» les Frères musulmans, un examen qui pourrait déboucher sur une sortie de crise à la faveur du dégel des relations entre Le Caire et Doha.

Employés par l'antenne anglophone de la chaîne du Qatar, l'Australien Peter Greste, l'Égypto-Canadien Mohamed Fadel Fahmy et l'Égyptien Baher Mohamed avaient été arrêtés il y a un an. En juin, MM. Greste et Fahmy avaient été condamnés à sept ans de prison, tandis que M. Mohamed avait écopé de dix ans.

Le procès avait provoqué un tollé international. Les États-Unis et l'ONU l'avaient condamné tandis que Londres et Paris avaient convoqué les ambassadeurs d'Égypte.

Le Caire accuse les trois journalistes de diffusion de «fausses nouvelles» pour soutenir les Frères musulmans de Mohamed Morsi, le président islamiste destitué et emprisonné par l'armée en juillet 2013. La confrérie, qui avait remporté toutes les élections depuis la chute de Hosni Moubarak en 2011, avait été classée il y a un an «organisation terroriste» par le pouvoir mis en place par l'armée.

La Cour de cassation, chargée d'examiner l'appel, «peut ordonner un nouveau procès, ou prononcer elle-même un nouveau verdict, voire un acquittement», explique à l'AFP Negad al-Boraï, l'avocat de M. Fahmy, ajoutant toutefois que l'appel peut également être rejeté.

En cas de nouveau procès, «la cour peut également ordonner leur libération sous caution,» a-t-il ajouté.

L'arrestation des journalistes est intervenue au moment où l'Égypte et le Qatar étaient à couteaux tirés depuis l'éviction de M. Morsi par le chef de l'armée d'alors, le général Abdel Fattah al-Sissi, élu président en mai dernier après avoir éliminé toute opposition de la scène politique, islamiste comme laïque.

«Leur arrestation était une sorte de règlement de compte politique entre l'Égypte et le Qatar,» estime Me Boraï.

Le Caire reprochait à Doha de prendre parti pour les Frères musulmans, notamment via Al-Jazeera et sa couverture jugée «partisane» de l'éviction du chef de l'État élu et de la sanglante répression qui s'est aussitôt abattue sur ses partisans.

Depuis l'été 2013, au moins 1400 manifestants pro-Morsi ont été tués et plus de 15 000 Frères musulmans ou sympathisants ont été emprisonnés, des centaines condamnés à mort dans des procès de masse expédiés en quelques minutes.

Réconciliation avec le Qatar

L'audience de jeudi pourrait s'avérer cruciale, car elle intervient au moment où les deux pays multiplient les signes de réconciliation, grâce à une médiation de l'Arabie saoudite, grand soutien de M. Sissi.

Ainsi, le 20 décembre, après la visite inédite au Caire d'un émissaire de l'émir du Qatar, l'Égypte se réjouissait d'une «nouvelle ère» et Doha exprimait son «soutien total» au gouvernement de Sissi.

Deux jours plus tard, Al-Jazeera annonçait la fermeture surprise de son antenne égyptienne, qui exaspérait Le Caire.

La presse internationale se réjouissait aussitôt d'une probable «bonne nouvelle» à l'occasion de l'appel, soit par un acquittement, soit par l'annonce d'un nouveau procès qui pourrait déboucher sur une réduction de la peine à l'année de détention déjà écoulée.

«Le réchauffement entre Le Caire et Doha est un élément que les juges pourraient prendre en compte dans leur décision de jeudi», souligne Mustapha Kamel Al-Sayyid, professeur de sciences politiques à l'Université du Caire.

«Rien n'est sûr, mais, à mon avis, il est très probable que cela se termine par la remise en liberté des journalistes», opine H. A. Hellyer, du Centre for Middle East Policy à la Brookings Institution de Washington, ajoutant: «Quand et comment, c'est une autre question».

MM. Greste et Fahmy avaient été arrêtés en décembre 2013 dans une chambre d'hôtel transformée en bureau au Caire, où ils travaillaient --clandestinement selon l'accusation-- sans l'accréditation obligatoire pour tous les médias.

Jeudi, la Cour de cassation étudiera également les appels de quatre coaccusés égyptiens qui ont écopé en juin de sept ans de prison. Ils ont été condamnés pour appartenance à une «organisation terroriste» -les Frères musulmans- et avoir cherché à «nuire à l'image de l'Égypte».