Les Sud-Africains ont massivement reconduit l'ANC au pouvoir lors des législatives et régionales de mercredi, voyant toujours dans le parti de Nelson Mandela le glorieux mouvement qui les a libérés de l'apartheid en 1994, malgré deux décennies de gestion contestée.

Vendredi à la mi-journée, alors que la quasi-totalité des bulletins avait été dépouillée, le résultat provisoire donnait à l'ANC une majorité absolue de 62,20 %, loin devant l'Alliance démocratique (DA, opposition libérale) avec 22,20 %, et les Combattants pour la liberté économique (EFF, gauche populiste) avec 6,24 %.

L'ANC conservait en outre huit des neuf régions du pays, seule la riche province du Cap occidental, gouvernée par la DA depuis 2009, lui échappant de nouveau.

Le score national de la DA, dont la numéro un Helen Zille est blanche, laisse cependant penser que le parti a su toucher les classes moyennes, y compris les Noirs. Certains veulent y voir l'amorce d'une bipolarisation de la vie politique pour les années à venir.

Quant à l'EFF, il réussit son entrée en politique en envoyant probablement une vingtaine de députés au Parlement. Ce nouveau parti fondé par le trublion Julius Malema veut occuper l'aile gauche de l'échiquier politique, en prônant la nationalisation des mines et des banques, et l'expropriation sans indemnités des grands propriétaires terriens blancs.

Pour l'ANC, ce succès va lui donner de nouveau une majorité absolue au Parlement, dont la première tâche le 21 mai sera de réélire le président Jacob Zuma pour un nouveau mandat de cinq ans.

Plusieurs raisons expliquent cette domination écrasante, dans un pays où le chômage touche pourtant un quart de la population, où les villes sont cernées de bidonvilles miséreux, et où les inégalités entre riches et pauvres se sont accrues depuis la fin de l'apartheid.

Un succès «malgré Zuma»

Parmi les électeurs rencontrés par l'AFP à la sortie des urnes mercredi, même les plus jeunes insistaient sur leur fidélité historique au «parti de la lutte» contre l'apartheid. «C'est grâce à l'ANC que j'ai pu aller à l'école, et je vote pour l'héritage de Mandela», expliquait ainsi Lehlogonolo Gumede, étudiante de 23 ans.

Plus prosaïquement, le politologue Moeletsi Mbeki, de l'Institut sud-africain des questions internationales, note que l'électorat de l'ANC est très largement constitué de retraités, de femmes au foyer et de chômeurs, qui dépendent pour vivre de l'aide sociale (en 2009, une étude d'IPSOS avait démontré que 67 % des électeurs de l'ANC ne travaillaient pas).

«Pour ces gens-là, que l'ANC soit corrompu ou non, ils le voient comme le parti qui leur fournit les aides et de quoi subsister. Et l'ANC n'arrête pas de leur répéter que s'ils votent pour la DA, ils perdront ces prestations sociales», constate M. Mbeki, qui n'est autre que le frère de l'ancien président Thabo Mbeki, évincé en 2008 par le clan de Jacob Zuma.

Cherrel Africa, directrice du département d'études politiques à l'Université du Cap occidental, explique aussi pourquoi les griefs contre l'ANC n'ont pas trouvé d'écho électoral : «La critique contre l'ANC est violente, mais il n'y a pas d'alternative, parce qu'aucun autre parti n'a gagné la confiance (des classes défavorisées, NDLR). Donc soit vous continuez à voter pour l'ANC soit vous n'allez pas voter, mais vous ne passez pas à un autre parti d'opposition».

Quant aux retombées des scandales autour du président Zuma, et notamment de la rénovation de sa résidence privée aux frais du contribuable pour 15 millions d'euros (près de 23 millions de dollars), elles ont été moindres que ce qu'espérait l'opposition. Cette affaire «n'a jamais été un facteur dans le choix des électeurs», affirmait vendredi le politologue Aubrey Matshiqi dans The Times, «parce que la majorité des partisans de l'ANC ont compris que ce n'était pas une élection présidentielle. Ils ont voté pour l'ANC, pas pour Zuma».

Au sein même de l'ANC, renchérit l'hebdomadaire Mail & Guardian, «il y a beaucoup de voix qui diront que le succès électoral a été obtenu malgré Zuma, et pas grâce à lui».