«Avec un peu de chance on va en attraper aujourd'hui, et on va leur faire ça dur!», s'exclame sur un ton enthousiaste un sous-officier de la Force multinationale d'Afrique centrale (FOMAC) à Bangui, en grimpant dans son pick-up armé d'une mitrailleuse lourde.

À sa suite démarrent une dizaine de véhicules : blindés et transports de troupes, pleins à craquer de soldats venus de toute l'Afrique centrale pour sécuriser la capitale centrafricaine, toujours en proie aux violences et exactions des «éléments incontrôlés» de la coalition rebelle Séléka, au pouvoir depuis mars.

Distinguer les «vrais» Séléka de tous les jeunes qui ont pu s'armer à la chute de Bangui, ou de ceux qui ont décidé de faire cavalier seul, c'est tout le casse-tête de la FOMAC qui tente comme elle peu d'y voir clair et d'enrayer la criminalité armée.

Selon les nouvelles autorités, l'ex-rébellion totalise 25 000 combattants, dont 20 000 ralliés de la dernière heure venus d'on ne sait trop où avec leurs propres armes au moment de la chute de Bangui.

Lentement, le convoi démarre. Dans les pick-up de l'armée tchadienne, les serveurs des mitrailleuses s'agrippent à leurs armes dans les secousses des mauvaises routes de la ville. Assis sur des bancs en bois, les autres scrutent défiler les environs en réajustant leurs Kalachnikovs.

La patrouille sillonne la ville en commençant par les grandes artères, avant de s'enfoncer dans les quartiers populaires et les marchés bondés, au milieu de la foule.

À leur passage, acheteurs et vendeurs regardent passer leur unique rempart face à la violence des ex-combattants rebelles dont les victimes s'accumulent jour après jour.

Parfois quelques applaudissements, parfois une photo, et souvent les enfants des rues qui courent dans la poussière après les véhicules pour quémander une cigarette, ou une pièce.

Une balle pour l'abbé Élysée

Ce jour-là, la patrouille n'a attrapé personne, alors que la veille encore une figure emblématique de la ville, l'abbé Élysée, se prenait une balle dans la jambe, encombrant un peu plus l'hôpital communautaire de Bangui.

Tout près de l'hôpital, une détonation retentit.

«C'est un coup de feu?», demande une jeune femme en jetant un regard inquiet autour d'elle. «C'est pas un coup de feu, c'est juste Bangui», répond son interlocuteur avec un sourire espiègle.

Dans l'hôpital règne une chaleur étouffante. Derrière les portes entrebâillées sont alignés malades et blessés, allongés sous des moustiquaires pourries d'humidité.

L'abbé Élysée est dans l'une de ces chambres aux murs défraîchis, entouré d'une dizaine de personnes venues lui apporter du soutien et quelques objets religieux : un crucifix, un chapelet, une statue de la vierge...

Le nouvel homme fort de Bangui, le président Michel Djotodia lui-même est venu visiter le religieux dont la vie est entièrement consacrée aux «godobés», surnom des enfants de la rue qui ont tantôt gonflé les rangs des partisans du président déchu François Bozizé, tantôt ceux de la rébellion.

«L'agresseur n'a pas attendu, il a pris l'arme, j'ai entendu la détonation. J'ai voulu fuir, mais c'est à ce moment que j'ai vu que j'étais blessé à la cuisse», explique l'abbé, dans le fracas d'un vieux ventilateur qui brasse de l'air chaud. Cela s'est passé en début de soirée, dans un quartier bondé du centre-ville.

«Les gens ont commencé "le concert des casseroles" et ont commencé à crier», avant que l'homme, «armé, mais en civil», ne prenne la fuite, poursuit l'abbé Élysée.

Taper sur des casseroles, c'est désormais le seul recours dans les quartiers pour appeler au secours.

Ce sont finalement «des vrais Séléka» qui ont secouru le prêtre. Mais dans les rues désertes de la ville, une fois que la nuit tombe et que les quartiers sont plongés dans le noir faute d'électricité, il est bien difficile de distinguer les «vrais» des «faux», alourdissant encore un peu plus le climat d'insécurité.