Envers et contre tout, les Ivoiriens se rendront aux urnes demain, pour le premier tour d'une élection présidentielle sans cesse repoussée depuis 2005. Laurent Gbagbo est candidat à sa propre succession face à 13 autres candidats, dont deux acteurs importants de la crise politique qui secoue le pays depuis 10 ans. Survol des enjeux.

Q : Selon les observateurs, ce scrutin doit mettre fin à une décennie de crise politique en Côte d'Ivoire. Quelles sont les racines de cette crise?

R : À Noël 1999, un coup d'État a renversé le gouvernement de Henri Konan Bédié, successeur du «père de la Nation», Félix Houphouët-Boigny, décédé en 1993. Le général putchiste qui l'a remplacé a aussi exclu du gouvernement Alassane Ouattara, ancien premier ministre et candidat à la présidence. Aux élections présidentielles d'octobre 2000, Laurent Gbagbo, ancien professeur d'histoire, opposant à Houphouët-Boigny et leader socialiste, a déjoué les pronostics en remportant le scrutin. MM. Bédié (76 ans) et Ouattara (68 ans) sont d'ailleurs, cette fois-ci, les deux plus sérieux candidats contre Laurent Gbagbo (65 ans).

Q : Comment se sont déroulées les 10 années de la présidence de Laurent Gbagbo?

L'instabilité politique a toujours plané sur le pays depuis le coup d'État de 1999. En septembre 2002, Gbagbo est victime d'une tentative ratée de coup d'État perpétrée par les rebelles du Nord et des partisans d'Alassane Ouattara. Gbagbo sauve sa présidence, mais la situation se détériore dans le nord du pays, d'où est originaire Ouattara. Les rebelles se dirigent vers le sud, où ils se retrouvent face à l'armée présidentielle et à la France, venue s'interposer entre les deux factions de son ancienne colonie. Malgré des accords signés en 2003, les tensions explosent en 2004 quand une base militaire française est attaquée.

Q : Pourquoi les élections présidentielles ont-elles été sans cesse repoussées?

R : Depuis 2002, le nord et le sud du pays sont scindés. Des élections présidentielles auraient dû avoir lieu en 2005, mais elles ont été repoussées six fois par Laurent Gbagbo pour des raisons politiques et une incapacité à rédiger les listes électorales. Cette fois encore, les retards de la distribution des cartes d'électeurs et cartes d'identité ont fait craindre un nouveau report.

Q : Quel est ce concept d'«ivoirité», au centre des querelles dans le pays?

R : Pour évincer Ouattara en 2000, le gouvernement putchiste a modifié la constitution pour exiger que les aspirants présidents soient nés de père et mère ivoiriens - une mesure qui a chauffé les esprits racistes dans ce pays d'immigration. La rédaction des listes électorales pour la présente élection a également soulevé la question d'«ivoirité» quand le parti au pouvoir a soupçonné ses adversaires politiques de vouloir y inscrire des étrangers. À l'inverse, de nombreux Ivoiriens, originaires du nord du pays et portant des patronymes qu'on trouve dans les pays riverains, ont accusé le pouvoir de vouloir les écarter du scrutin à venir.

Q : Quelle place occupe encore Félix Houphouët-Boigny, premier chef d'État de la Côte d'Ivoire après son accession à l'indépendance en 1960?

R : Il a beau être décédé il y a 17 ans, celui qui est surnommé le «bélier» (boigny, en langue baoulé) occupe toujours les esprits. Les Ivoiriens souhaitent que ces élections leur permettent de reprendre le chemin de la prospérité économique. Les 20 années qui ont suivi l'indépendance ont été celles du «miracle ivoirien», caractérisé par sa stabilité politique (Houphouët-Boigny a régné jusqu'à sa mort en 1993) et ses revenus faramineux grâce au cacao. Les 20 glorieuses se sont achevées dans les années 80 alors que s'effondraient les cours du cacao et que la contestation politique se faisait plus insistante. Mais l'image de Houphouët-Boigny, elle, semble restée intacte. D'ailleurs, même Laurent Gbagbo, qui a été emprisonné par le «Vieux» et qui l'a défié lors d'élections en 1990, se présente désormais comme son héritier... et dénonce les «faux héritiers», Bédié et Ouattara.

Avec l'Agence France-Presse