Il fait un soleil éclatant en ce jour d'été de février. Comme depuis des décennies, les étudiants de l'Université de Witwatersrand flânent à la Matrix, le lieu par excellence pour socialiser et se la couler douce. Mais une chose a changé en 20 ans : leur visage.

Université libérale, historiquement liée à la communauté afrikaner, «Wits», comme on la surnomme aujourd'hui, a longtemps été réservée aux étudiants blancs. Sous l'apartheid, les jeunes des autres groupes raciaux qui voulaient y étudier devaient obtenir une permission spéciale. Nelson Mandela a été du compte.

 

En 1990, au début de la transition de l'Afrique du Sud vers la démocratie, 80% des 12 000 étudiants de Wits étaient blancs et ce, même si les Blancs n'étaient que 10% de la population. Les autres appartenaient aux groupes raciaux mis sur pied par le régime de l'apartheid : Noirs, Indiens et «de couleur», une catégorie qui englobait à la fois les métis et ceux qu'il était impossible de ranger dans une des autres boîtes.

Aujourd'hui, la pyramide a été inversée. Selon les statistiques de l'Université, 80% des 29 000 étudiants sont noirs. Ils proviennent autant des beaux quartiers que des townships avoisinants. Âgés de moins de 20 ans pour la plupart, ils appartiennent à la génération des «born free», nés libres de l'apartheid et de ses lois ségrégationnistes.

«Nos parents nous disent souvent que nous ne devons pas tenir pour acquis ce que nous avons. Nous n'avons pas vécu l'apartheid, mais ils ne manquent pas de nous rappeler ce qui aurait été impossible juste avant notre naissance», lance Chantell Saja, une étudiante de 18 ans qui étudie la psychologie. Elle se dit de mère «de couleur» et de père noir.

Sa génération est-elle celle de l'arc-en-ciel dont rêvait Nelson Mandela quand il a fait son discours de libération il y a 20 ans ? «Malheureusement, la race est encore une question cruciale dans notre société. Nous ne vivons plus des vies séparées, nous nous côtoyons dans les cours, mais nous avons toujours tendance à fréquenter des gens de notre propre groupe racial», renchérit Zanathenea Tshangeba, 19 ans, qui vient tout juste d'entreprendre son baccalauréat général.

Un rapide coup d'oeil autour permet de vérifier ses dires. Des dizaines de petits groupes de jeunes sont assis dans l'herbe les uns à côté des autres, mais les groupes mixtes sont quasi inexistants. Expliquant qu'il est «de couleur», Lavenco Smit, tente une explication. «Nous migrons vers ce que nous connaissons, c'est subconscient», expose l'étudiant de 18 ans.

Si la race est un sujet qui préoccupe la génération post-apartheid, ses véritables inquiétudes sont cependant ailleurs. Le taux de chômage et le taux de criminalité, un des plus élevés du monde avec 50 homicides par jour, les empêchent davantage de dormir. «Nous sommes programmés pour éviter les endroits dangereux», dit Avinesh Samaroo, 17 ans, étudiant en physique. Fier de ses antécédents indiens, il se sent à l'aise dans son township, où les gens de sa race sont encore majoritaires. Le reste du temps, il garde l'oeil ouvert et se déplace toujours avec des amis.

«J'imagine que nos enfants seront la première génération vraiment libre du legs de l'apartheid. Nous sommes l'entre-deux, constate Alistair James, étudiant en architecture et blanc. Mais nous vivons néanmoins dans une ère pleine de possibilités.»