À l'approche de la fin du ramadan, les hommes non encore mariés de la ville de Kano, dans le nord du Nigeria, se cachent pour échapper au «chasseur de célibataires» qui, s'il les attrape avec son lasso, les ridiculise en public.

Au rythme des chants et tambours, Auwalu Sani, 40 ans, alias Nalako (celui qui chasse les célibataires, en langue Haoussa) sillonne les rues de cette cité commerciale la nuit, à la recherche de proies à exhiber. Vêtu d'une peau de bête ornée d'amulettes recouvrant une chemise de coton sans manches tissée à la main, coiffe assortie vissée sur la tête, Nalako, accompagné d'une foule chantante et dansante, promène sa corde de raphia sur la ville chaque année pendant les deux semaines du festival.

«Il n'y a pas d'échappatoire une fois que mon lasso se referme sur ma proie», dit-il, en avançant dans une petite ruelle du quartier Jakara, dans la vieille ville.

«Le lasso a un pouvoir spécial, chaque célibataire que j'attrape est marié avant le ramadan suivant», poursuit Nalako tandis que son orchestre comprenant gong et timbales raisonne de plus en plus fort.

Désormais devant la maison de sa prochaine victime, le chasseur fait retentir sa corne, un son connu de tous ici, et se met à entonner le chant traditionnel qui décrit les hommes célibataires comme des chiens sans valeur  qui ne méritent aucun respect.

Bientôt, les lieutenants de Nalako sortent de la demeure, tirant de là un trentenaire réticent et couvert de honte. Nalako lui passe la corde autour du cou et barbouille son visage d'une teinture indigo, avant de le faire défiler dans la ville.

Les habitants, amusés, offrent aux musiciens de la nourriture et de l'argent, comme le veut la coutume. Le jeune homme capturé entame lui, contraint et forcé, la danse et le chant du célibataire.

Cette tradition vieille de deux siècles «a pour but d'encourager les hommes non mariés à prendre épouse pour lutter contre l'immoralité dans la communauté», explique Nalako, qui a capturé l'an passé 14 hommes, un chaque nuit de carnaval.

Le chasseur souffle de nouveau dans sa corne, suscitant l'admiration de la foule frénétique et les hululements de femmes voilées installées sur des toits, des murets et aux fenêtres.

Hassan Hawa, 27 ans, qui a assisté au spectacle, craint le lasso comme la peste.

«Je fais mon possible pour être marié d'ici le ramadan suivant. On ne peut pas savoir, je serai peut-être le prochain et je ne pourrai pas supporter cette humiliation publique», dit l'artisan.

Ce carnaval appelé en haoussa «kamun gwauro» (la prise des célibataires), a pris de l'ampleur et été officiellement reconnu sous le règne du très puritain émir de Kano Alu Maisango (1894 à 1901).

Le titre de Nalako, héréditaire, se transmet de père en fils et depuis 20 ans, Auwalu Sani anime les rues de la ville à la même époque.

«Le carnaval fait désormais partie de l'héritage traditionnel de Kano», estime Ali Bature, des services historiques et culturels de l'État de Kano, dont Kano est la capitale.

Autrefois, Nalako se rendait dans les lupanars et les lieux de rencontre de la ville à la recherche de ses proies. Depuis quelques années, il agit à partir de «tuyaux» qui lui sont transmis par la famille et les amis des célibataires, raconte Usman Mamko, dernier membre encore en vie de l'orchestre du précédent Nalako.

Ce soir là, il a assisté à la chasse. «Pour revivre le bon vieux temps et apporter mon soutien aux jeunes».