(Goris) Des milliers d’habitants du Haut-Karabakh se sont réfugiés en Arménie, malgré la promesse réitérée lundi par le président de l’Azerbaïdjan que seraient « garantis » les droits des Arméniens qui resteraient dans ce territoire séparatiste enclavé dont son armée a repris le contrôle la semaine dernière.

Lundi soir, les autorités séparatistes ont par ailleurs fait état de l’explosion d’un dépôt de carburant qui a fait plus de 200 blessés au Haut-Karabakh, et demandé une assistance extérieure urgente pour faire face à cette catastrophe.

« Le nombre de blessés après l’explosion d’un dépôt de carburant dépasse les 200. La majorité sont dans un état grave ou très grave », a déclaré le chargé des droits de la personne de la république autoproclamée, Gegham Stepanyan, sur les réseaux sociaux.

« Les possibilités médicales [du Haut-Karabakh] sont insuffisantes. Il faut que des avions médicalisés atterrissent au plus vite pour sauver des vies », a ajouté ce responsable.

Tous les habitants du Haut-Karabakh, « quelle que soit leur ethnie, sont des citoyens de l’Azerbaïdjan », a déclaré Ilham Aliev.

« Leurs droits seront garantis par l’État azerbaïdjanais », a-t-il ajouté lors d’une conférence de presse commune avec son homologue turc Recep Tayyip Erdogan au Nakhitchevan, une bande de terre azerbaïdjanaise nichée entre l’Arménie et l’Iran.

« Nous espérons que l’Arménie saisira la main pacifique qui lui est tendue », a de son côté lancé M. Erdogan.  

PHOTO ATTILA KISBENEDEK, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le président de l’Azerbaïdjan, Ilham Aliev

La visite du chef de l’État turc, qui joue un rôle majeur dans cette partie du Caucase, a une valeur symbolique forte, quelques jours seulement après la victoire éclair des soldats azerbaïdjanais contre les troupes de la « république » autoproclamée du Haut-Karabakh. Cette région en majorité peuplée d’Arméniens et rattachée en 1921 à l’Azerbaïdjan par le pouvoir soviétique échappait de facto au contrôle de Bakou depuis une guerre au tournant des années 1990.

La Russie, qui voit le Caucase comme son pré carré et avait déployé il y a trois ans une force de maintien de la paix dans ce territoire après une brève offensive de l’Azerbaïdjan, a de son côté rejeté lundi les critiques émises la veille par le premier ministre arménien Nikol Pachinian, qui a accusé les forces de paix russes de ne pas avoir rempli leur mission.

Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, rejetant tout « reproche » sur des manquements supposés.

La diplomatie russe est allée jusqu’à accuser l’Arménie, « otage des jeux géopolitiques de l’Occident », de chercher à « détruire » les relations entre les deux pays, dénonçant une « énorme erreur ».

Les États-Unis ont pour leur part estimé lundi soir que les évènements avaient démontré que la Russie n’était pas un « pas un partenaire de sécurité fiable ».

Le porte-parole du département d’État, Matthew Miller, a fait part de « l’inquiétude profonde » des États-Unis concernant le sort des habitants arméniens du Haut-Karabakh. Il a évoqué des « discussions actives » sur l’envoi d’une « mission internationale » visant à « assurer la transparence, rassurer et donner confiance aux habitants » de la région.

L’Union européenne doit de son côté recevoir mardi à Bruxelles de hauts représentants des deux anciennes républiques soviétiques, qui se sont affrontées militairement au Haut-Karabakh de 1988 à 1994 (30 000 morts) et à l’automne 2020 (6500 morts).

À Erevan, comme tous les soirs depuis une semaine, des manifestants ont dénoncé l’inaction, selon eux, de M. Pachinian face à l’attaque de l’Azerbaïdjan. Ils étaient plusieurs milliers lundi soir, agitant le drapeau des séparatistes arméniens du Haut-Karabakh sur la place centrale de la capitale arménienne.

Afflux de réfugiés

L’afflux sur le sol arménien de réfugiés du Haut-Karabakh s’est poursuivi lundi, avec d’immenses files de véhicules signalées sur l’unique route reliant sa « capitale » Stepanakert à l’Arménie.

Au total, ce sont 6650 personnes « déplacées de force » de cette enclave qui sont entrées depuis dimanche en Arménie après la défaite des combattants séparatistes, selon le dernier bilan du gouvernement arménien.  

Dans la ville arménienne de Goris, le centre humanitaire installé dans les locaux du théâtre municipal ne désemplissait pas, a constaté un journaliste de l’AFP.

PHOTO DAVID GHAHRAMANYAN, REUTERS

Une femme âgée et deux enfants sont assis sur leurs bagages alors que des résidants ayant quitté le Haut-Karabakh se retrouvent à Stepanakert, le 25 septembre.

Toute la nuit, des réfugiés venaient pour se faire enregistrer, trouver une solution d’hébergement ou un transport vers d’autres régions d’Arménie.

Anabel Ghoulassian, 41 ans, originaire du village de Rev (Chalva en azéri), tout juste arrivée en minibus à Goris avec cinq de ses sept enfants et son mari, a raconté leur périple.  

Au début des combats, la semaine dernière, ils sont tous allés chercher protection dans la base russe de l’aéroport de Stepanakert.  

Mais ils s’en sont fait expulser après la première nuit et ont ensuite vécu dans un bâtiment à l’abandon.

« C’étaient des jours horribles, on était simplement assis les uns à côté des autres. Riches ou pauvres, tous au même endroit », a-t-elle raconté.

L’Azerbaïdjan s’est pour sa part engagé à permettre aux rebelles qui rendraient les armes de regagner l’Arménie.

Beaucoup craignent que les Arméniens ne fuient massivement le Haut-Karabakh, au moment où les forces azerbaïdjanaises resserrent leur emprise sur le petit territoire montagneux qui était peuplé de quelque 120 000 habitants. La situation humanitaire y demeure très tendue.

« Retourner au Karabakh »

Côté azerbaïdjanais, dans les localités proches du Haut-Karabakh, comme Terter et Beylagan, beaucoup de ceux qui avaient dû à l’inverse quitter la région il y a trois décennies veulent y revenir.

« Bien sûr, je veux retourner au Karabakh, nous sommes fatigués de la guerre et de la peur », lâche Nazakat Valieva, 49 ans, une ancienne ouvrière qui a perdu son mari au cours du conflit.

« Si les Arméniens quittent le Karabakh, ce n’est pas grave, s’ils restent, c’est très bien pour eux, s’ils acceptent notre citoyenneté », commente Chemil Valiev, un commerçant de 40 ans à Gandja, la deuxième plus grande cité d’Azerbaïdjan.

Le bus dans lequel il s’apprête à monter porte une affiche montrant le visage juvénile d’un soldat azerbaïdjanais tué dans les affrontements de 2020.  

L’Azerbaïdjan a annoncé lundi que deux de ses soldats avaient été tués la veille par l’explosion d’une mine. Côté arménien, le bilan annoncé est de 200 morts dans les affrontements de la semaine dernière.