L'un est conservateur, l'autre progressiste. Ensemble, Paul Clement et Neal Katyal, deux juristes réputés, ont pondu dans la Harvard Law Review un article affirmant que Ted Cruz est bel et bien éligible à la présidence, étant «citoyen (américain) de naissance» (natural born Citizen) de par sa mère, née au Delaware. Le passage clé de leur article :

«Toutes les sources habituellement utilisées pour interpréter la Constitution confirment que la phrase "natural born Citizen" a une signification précise : à savoir, quelqu'un qui était citoyen américain à la naissance sans avoir à se soumettre plus tard au processus de naturalisation. Et le Congrès a indiqué clairement depuis l'époque de l'élaboration de la Constitution à aujourd'hui que (...) quelqu'un né d'un parent ayant la citoyenneté américaine devient généralement un citoyen américain, que sa naissance ait lieu au Canada, dans la zone du Canal de Panama ou sur le territoire des États-Unis.»

Ça règle le problème? Aucunement, selon au moins deux professeurs de droit constitutionnel, dont Mary Brigid McManamon, de l'Université Widener au Delaware. Dans un article publié hier par le Washington Post, elle reproche à Clement et Katyal d'avoir fait fi du sens que donne la «common law», cruciale dans l'interprétation de la Constitution, de l'expression «natural born Citizen».

Or, précise McManamon, William Blackstone, juriste anglais du 18e siècle, expert en la matière, a défini les «natural born Citizens» comme étant «nés à l'intérieur des dominions de la couronne britannique», alors que les «étrangers sont ceux qui sont nés à l'extérieur» des dominions. McManamon ajoute que James Madison, «Père de la Constitution», considérait le lieu de naissance comme «le critère le plus important» de l'allégeance aux États-Unis.

Quelques jours avant la publication du texte de la professeure McManamon, un de ses plus collègues les plus réputés, Laurence Tribe confiait au Guardian que la question de l'éligibilité de Ted Cruz n'était pas «établi en droit», contrairement à ce que le sénateur du Texas prétend. Tribe, qui a enseigné le droit constitutionnel à Harvard à Cruz et Barack Obama, a relevé une ironie : les juges préférés de Cruz, ceux qui se définissent comme des «originalités», pourraient très bien arriver à la même conclusion que la professeure McManamon sur son éligibilité, et pour les mêmes raisons.

La Cour suprême des États-Unis n'a évidemment jamais été saisie d'un dossier lui permettant d'interpréter le sens de l'expression «natural born Citizen» que l'on retrouve dans le premier article de la Constitution. Mais elle pourrait bien avoir à se prononcer sur le sujet si Ted Cruz remportait la présidence. Le représentant démocrate de Floride Alan Grayson a promis d'intenter une action en justice pour contester l'éligibilité de Cruz s'il est élu à la Maison-Blanche. Au cours des derniers jours, Donald Trump a fait allusion à cette possibilité pour mettre en garde les républicains contre un vote pour Cruz.

La question de l'éligibilité du sénateur né à Calgary sera sûrement débattue ce soir à l'occasion du débat télévisé républicain tenu en Caroline-du-Sud.

P.S. : Autre question à laquelle Cruz devra répondre ce soir : pourquoi n'a-t-il pas déclaré au moment approprié le prêt que Goldman Sachs, l'employé de sa femme Heidi, a consenti à sa campagne sénatoriale en 2012? Campagne dans laquelle le couple Cruz s'était vanté d'avoir investi leur propre argent - près d'un million de dollars -, comme le rappelle le New York Times dans cet article publié aujourd'hui en première page.