Principal suspect d'un attentat antisémite à Paris, le Canado-Libanais Hassan Diab est incarcéré depuis deux ans et demi dans l'attente d'un procès qui tarde à être annoncé. L'ancien professeur de l'Université Carleton d'Ottawa est un « bouc émissaire », victime du climat antiterroriste en France, clame son avocat, qui réclame l'intervention d'Ottawa avec l'appui d'Amnistie internationale.

L'ATTENTAT DE LA RUE COPERNIC

Paris, 3 octobre 1980. La communauté juive célèbre la fête de Sim'hat Torah à la synagogue de la rue Copernic. À 18 h 38, les célébrations virent à l'horreur. Une bombe explose, fauchant 4 vies et faisant 46 blessés. Le suspect de l'attentat antisémite - le premier à viser les juifs de France depuis la Seconde Guerre mondiale - ne sera arrêté qu'en novembre 2008, par la GRC, dans sa résidence de Gatineau. Respectable professeur de sociologie à l'Université Carleton d'Ottawa, Hassan Diab aurait été, dans une autre vie, membre du Front populaire de libération de la Palestine-Opérations spéciales (FPLP-OP). Chef d'un commando de ce groupuscule marxiste-léniniste, il aurait lui-même posé la bombe de la rue Copernic. Trente-sept ans après les faits, ses défenseurs au Canada refusent d'y croire.

LES ÉLÉMENTS À CHARGE

De nombreux témoins ont identifié Hassan Diab comme étant l'homme qui se cachait derrière Alexander Panadryui, le mystérieux auteur de l'attentat de 1980. De plus, un ancien militant du FPLP, Youssef El Khalil, a indiqué à la police avoir côtoyé M. Diab et son ancienne épouse, Nawal Copty, au sein du groupe terroriste. Il a ajouté les avoir perdus de vue après leur départ pour l'Amérique du Nord, où le couple voulait changer de vie. Mais l'élément le plus compromettant est sans doute la saisie du passeport d'Hassan Diab à Rome, en octobre 1981, par les autorités italiennes. Le document était en la possession de membres influents du FPLP-OP. Tous ces éléments réunis ont mené à l'extradition du Canadien d'origine libanaise en France, en novembre 2014.

LA DÉFENSE

Hassan Diab clame qu'il était à Beyrouth au moment de l'attentat. C'était en pleine période d'examens à l'Université du Liban, où le jeune homme de 26 ans, né de parents palestiniens, étudiait la sociologie. Selon son avocat, Don Bayne, six témoins auraient récemment corroboré cette version au juge d'instruction français chargé de l'affaire. « Tous ceux qui le connaissent disent que pendant ses années d'université, il passait son temps à étudier, raconte sa femme, Rania Tfaily. Il était très sérieux, toujours à la bibliothèque. » Professeure et mère de deux jeunes enfants, elle fait campagne pour le rapatriement au Canada de son mari, dont elle ne doute pas de l'innocence. « Sinon, je ne me serais pas donné tout ce mal. »

LE PASSEPORT

Dans le passeport d'Hassan Diab, les tampons indiquent qu'il est entré en Espagne le 18 septembre 1980 pour en sortir le 7 octobre 1980, soit quatre jours après l'attentat. En avril dernier, Nawal Copty a toutefois affirmé au juge d'instruction que son ancien mari était en sa compagnie à Beyrouth le 28 septembre 1980, date où le porteur du passeport se trouvait déjà sur le sol européen. « Ces éléments permettent sérieusement de douter qu'il se soit déplacé en France via l'Espagne sur cette période de 15 jours [...] et donc qu'il soit le poseur de la bombe », a relevé le juge d'instruction. M. Diab assure aujourd'hui avoir perdu son passeport à Beyrouth quelques semaines avant l'attentat. Or, en 1983, quand il a demandé un nouveau passeport, il avait déclaré aux autorités libanaises avoir perdu son document en avril 1981, soit six mois après le massacre de la rue Copernic.

DREYFUS, VERSION 2017 ?

Aux yeux de l'avocat Don Bayne, Hassan Diab est un « prisonnier politique » dans une « France traumatisée par le terrorisme et qui ne veut pas paraître laxiste ». Il compare son client à Alfred Dreyfus, cet officier français de confession juive injustement condamné en 1894 pour avoir prétendument livré des documents secrets à l'Empire allemand. « Aujourd'hui, un musulman subit le même sort, dit-il. Ironiquement, les preuves avancées sont les mêmes. Dreyfus a été condamné sur la base d'expertises calligraphiques erronées et de renseignements militaires secrets. Il était totalement innocent, mais il était un bouc émissaire pratique. Je pense qu'Hassan Diab est aussi un bouc émissaire. Il est le Dreyfus de 2017. »

LIBERTÉ SOUS CAUTION REFUSÉE

À six reprises depuis l'incarcération d'Hassan Diab, des juges d'instruction ont ordonné sa mise en liberté, à condition qu'il soit assigné à résidence et porte un bracelet électronique pendant la durée de leur enquête. À six reprises, la cour d'appel a infirmé cette décision, invoquant le risque de « trouble à l'ordre public » et celui qu'il ne fuie la France. Dans leur dernière décision, rendue en avril, les magistrats ont souligné qu'« il existe des éléments concordants tendant à établir qu'Hassan Diab se trouvait à Beyrouth » au moment des faits. La cour d'appel ne semble pas en avoir tenu compte. Aux yeux de Rania Tfaily, il est clair que le maintien en détention de son mari est « politique ».

AMNISTIE INTERNATIONALE S'EN MÊLE

C'est un appui de taille pour Hassan Diab : la semaine dernière, Amnistie internationale Canada a organisé une conférence de presse afin de réclamer la libération sous caution du suspect, dont le maintien en détention depuis deux ans et demi constituerait une « violation des droits selon les normes internationales ». « Ça dure depuis beaucoup trop longtemps, cette détention sans accusations officielles, sans procès et malgré six ordonnances de libération... c'est scandaleux ! », s'indigne le secrétaire général de l'organisme, Alex Neve. « Ce n'est pas normal qu'une personne soit traitée de cette façon. Et cela se passe en France, un allié proche, qui dispose d'un système judiciaire bien établi et sophistiqué. »

D'AUTRES APPUIS IMPORTANTS

En plus d'Amnistie internationale, Hassan Diab dispose d'appuis importants au pays. L'Association canadienne des professeurs et professeures d'université, qui représente 70 000 membres, exige la libération sous caution du Dr Diab. Un site internet (justiceforhassandiab.org) a été mis sur pied pour le soutenir. Le 23 juin, un éditorial de l'Ottawa Citizen exhortait le gouvernement à faire pression sur la France : « Le Canada peut faire mieux que de maintenir un silence gêné. [...] Dans les pays démocratiques, nous ne gardons pas les gens en prison indéfiniment sans procès. » En fait, la justice suit son cours et l'enquête du juge d'instruction tire à sa fin, explique Amélie Lefebvre, l'avocate française de M. Diab. Cette enquête débouchera sur des accusations formelles ou sur un non-lieu.

OTTAWA RESTE DISCRET

Dans une lettre à Chrystia Freeland, ministre des Affaires étrangères, Amnistie internationale s'inquiète du « refus persistant et en apparence arbitraire » de libérer sous caution Hassan Diab. L'organisme « exhorte le gouvernement canadien à intervenir de son côté auprès des autorités françaises ». « Le gouvernement du Canada suit de très près le déroulement de l'affaire Hassan Diab en France. Nos agents consulaires sont en contact régulier avec lui, ainsi qu'avec sa famille et ses avocats », s'est limité à déclarer Austin Jean, porte-parole d'Affaires mondiales Canada.

PHOTO PATRICK DOYLE, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Au moment de son arrestation en 2008, Hassan Diab était professeur de sociologie à l'Université Carleton d'Ottawa.

CHRONOLOGIE

Novembre 2008

Hassan Diab est arrêté à sa maison de Gatineau par la GRC, à la demande du gouvernement français. Il est libéré sous caution.

Juin 2011

Un juge ontarien autorise son extradition en France.

Novembre 2014

La Cour suprême refuse d'entendre son cas. Il prend un vol pour Paris le soir même.

Juin 2017

Incarcéré depuis son arrivée en France, son cas fait toujours l'objet d'une enquête.