«Au nirvana» et «dans un état second merveilleux». Ingrid Betancourt a décrit ses premiers jours de liberté comme un pur moment d'extase. Mais l'euphorie vécue par l'otage la plus célèbre du monde, délivrée des FARC mercredi, laissera bientôt place à l'épuisement, selon quatre anciens otages interrogés par La Presse.

«Je me reconnais dans le comportement d'Ingrid», dit le journaliste français Roger Auque, détenu pendant 11 mois par le Hezbollah libanais en 1987. «J'avais la même illumination lorsque j'ai regagné ma liberté. J'étais complètement boosté, presque dopé, je dirais.»

Lorsqu'elle a retrouvé ses enfants à l'aéroport de Catam, en Colombie, jeudi, Ingrid Betancourt rayonnait.

Ses propos ont remué James Loney, travailleur humanitaire de Toronto kidnappé en novembre 2006 à Bagdad. «Elle parle de paradis et de nirvana, et c'est comme cela que je me suis senti, explique-t-il. Jamais dans ma vie je n'ai eu de sentiments aussi intenses que le jour où j'ai été libéré.»

Enchaîné durant plus de cinq mois dans une pièce sombre avec trois autres confrères, James Loney parle de son premier moment de liberté comme du plus beau de sa vie.

«Je suis allé marcher 30 minutes dans la zone verte de Bagdad. C'était une expérience exquise. En fait, tout ce que j'ai fait dans les semaines qui ont suivi, c'était comme si je le faisais pour la première fois. Laver mes vêtements, aller chez le coiffeur, ouvrir la porte du réfrigérateur, tout était intense. Mais ces sentiments puissants ont fini par m'épuiser.»

Retour à la «petite vie tranquille»

Pour Roger Auque et James Loney, l'intense bonheur ressenti dans les semaines suivant leur libération s'est toutefois transformé en montagnes russes d'émotions. «Lorsque le fardeau de la captivité s'est levé, j'ai éprouvé une fatigue intense, dit Roger Auque, collaborateur à Radio-Canada. En reprenant ma vie quotidienne, j'ai sombré dans une phase de vide, de dépression. Il a fallu trois ans avant que je me sente comme avant.»

Fadi Fadel a vécu le même choc dans les mois suivant sa libération. Le Lavallois d'origine syrienne dit avoir subi «un grand crash» et des symptômes de stress post-traumatique après sa séquestration de 10 jours en Irak par des militants chiites en 2004. Il prend toujours des cachets pour maîtriser son anxiété.

«Une fois que le cirque médiatique a été terminé, je ne suis pas sorti de ma maison durant trois mois, dit-il. Dès que j'ai du stress dans ma vie, je fais des cauchemars.»

Depuis, l'homme de 37 ans a volontairement changé de vie. De consultant en travail humanitaire pour des ONG en zones de guerre, il est devenu directeur des ventes à La Baie. «J'ai décidé de mener ma petite vie tranquille à Montréal. Le stress, c'est terminé, pour moi.»

Même s'il a été pris en otage il y a près de 40 ans, James Richard Cross se souvient clairement des difficultés qu'il a éprouvées à reprendre une vie normale. L'ancien diplomate britannique au Canada avait été kidnappé par le Front de libération du Québec en octobre 1970.

«Ça m'a pris quelques années avant d'être capable de fonctionner normalement, affirme James Richard Cross, joint en Angleterre. Et je n'ai été otage que durant deux mois, alors j'imagine que ça va être très difficile pour Ingrid Betancourt après six ans. Lorsqu'on est capturé, on devient comme de jeunes enfants. Ce sont nos ravisseurs qui choisissent le moment où on mange, où on va aux toilettes. Lorsque j'ai retrouvé ma liberté, ça m'a pris beaucoup de temps avant d'être capable de prendre des décisions tout seul.»

Quel avenir pour Ingrid?

Marc-Alain Wolfe, psychiatre à l'hôpital Douglas, affirme qu'Ingrid Betancourt risque fort probablement de vivre un épuisement physique et même une phase dépressive dans les prochaines semaines. «Mais chaque otage réagit de manière différente», prévient-il. À son avis, il est impératif que la politicienne et ses proches reçoivent un suivi psychologique adéquat.

Ingrid Betancourt semble consciente de ce qu'il l'attend. «Pour le moment, je vais parfaitement bien, je suis en pleine forme. Je suis tellement sous l'adrénaline que je n'ai ni faim ni sommeil. Mais j'imagine qu'à un moment, je sentirai le coup de barre!»