La morphine qu'on a administrée à Denis Meas après qu'il eut été blessé, le soir où son ami Fredy Villanueva a été tué, semble lui avoir fait oublier toutes ses interactions du lendemain avec les policiers, mais, curieusement, pas celles avec ses proches.

Denis Meas, qui a reçu une balle au haut du bras droit le 9 août 2008 à Montréal-Nord, poursuivait son témoignage devant le coroner André Perreault, mardi, au palais de justice de Montréal.

Le témoin a raconté sur une période de deux jours qu'il avait été opéré sous anesthésie générale dans la nuit du 9 au 10 août, qu'il ressentait alors une «douleur intolérable», qu'il était sous forte médication, et qu'il n'avait aucun souvenir de la déposition que les enquêteurs de la Sûreté du Québec (SQ) sont censés avoir recueillie auprès de lui.

Or, il a dit se rappeler très bien de la visite que les membres de sa famille lui ont rendue l'après-midi du 10 août. Le hic, c'est que les policiers de la SQ ont supposément consigné sa version des faits ce même après-midi, au cours d'une rencontre de plus d'une demi-heure.

De plus, Denis Meas a relaté lundi que c'est en regardant la télévision, toujours l'après-midi du 10 août mais avant la visite de ses proches, qu'il a appris que celui qu'il considérait comme son meilleur ami avait été tué. Mardi, il a d'abord nié cette affirmation avant d'hésiter et de finalement la confirmer.

Son amnésie affecte apparemment aussi tout ce qui concerne Jeffrey Sagor Metellus, l'autre jeune homme blessé par balle dans cette affaire. Meas s'est dit incapable de le situer dans son récit. Metellus était de toute évidence présent, mais le témoin n'a gardé aucun souvenir de lui, a-t-il prétendu.

Dany Villanueva, frère aîné de Fredy, s'était lui aussi montré plutôt évasif, ces dernières semaines, quand il était question de Jeffrey Sagor Metellus, qui a reçu un projectile dans le dos.

Le coroner Perreault est apparu incrédule devant l'aura de mystère qui entoure cet individu que la police pense être un membre du gang des Bloods. «J'ai l'intention de laisser beaucoup de latitude concernant M. Metellus», a-t-il dit au sujet des questions qui seront posées.

Rien à se reprocher



D'autre part, si tous les jeunes du groupe protestaient contre la façon dont le policier Jean-Loup Lapointe traitait Dany Villanueva, le 9 août 2008, aucun n'a touché au policier ni n'a même tenté de le faire, d'après Denis Meas.

Fredy Villanueva «n'était pas assez près» de l'agent Lapointe pour le frapper ou lui toucher, a-t-il répété. L'agent Lapointe a pourtant soutenu, à l'occasion de son propre témoignage, que le jeune homme qu'il allait abattre l'avait saisi à la gorge.

Selon Denis Meas, le comportement des jeunes n'a pas du tout contribué au dénouement tragique de l'opération policière.

Il n'était absolument pas d'accord avec la proposition que lui a soumise Me Pierre-Yves Boisvert, qui représente la Ville de Montréal, voulant qu'il ne faille jamais intervenir quand des policiers arrêtent un suspect. «Si on sent le besoin de protester, on doit protester, a-t-il estimé. (...) Si je vois que les policiers font mal leur travail, j'ai besoin de protester.»

Denis Meas avait mentionné en début de journée qu'il n'a jamais été membre d'un gang de rue et ajouté que, pour ce qu'il en savait, personne dans le groupe n'était membre d'un gang. Il n'a appris que dans le cadre de la présente enquête que Dany Villanueva avait, à une époque, fait partie des Bloods, a-t-il dit.

«Je ne savais pas qui était membre et qui n'était pas membre», a-t-il plus tard précisé, admettant que certains de ses amis auraient pu en être.

Il a aussi nié avoir déclaré lors d'un incident, en juillet 2009, qu'il était «le chef de la gang à Montréal-Nord», comme l'avaient rapporté les médias.

Les esprits s'échauffent

Le ton était particulièrement acrimonieux, mardi. Des avocats du camp policier ont notamment accusé celui de Dany Villanueva, Günar Dubé, de profiter d'objections pour suggérer des réponses à Denis Meas.

«C'est ce qui a été fait littéralement: mettre des mots dans la bouche du témoin», a lancé avec irritation l'avocat du Directeur des poursuites criminelles et pénales, François Brière. «L'objection était de nature stratégique plutôt que légale», lui a aussi reproché Me Boisvert, à un autre moment.

«En aucun temps c'est pour souffler une réponse au témoin que je m'objecte», a fortement insisté Me Dubé, qui s'est dit «tanné» qu'on lui «prête des intentions».

Las de cette atmosphère, le coroner Perreault a souligné qu'il n'a «pas le goût de faire de l'arbitrage» ni d'«entendre des plaintes et des complaintes». Il a invité ceux qui veulent porter des accusations de nature déontologique à le faire dans un autre forum que le sien.