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Q. « Dans tous les articles et les débats sur les changements climatiques, on fait référence aux subventions gouvernementales à l’industrie des hydrocarbures. J’aimerais bien comprendre ce qu’on subventionne exactement au Canada et sur quelle logique. »

Christian Proulx

R. Vous mettez le doigt sur un bobo que nous avons le plaisir de gratter pour vous.

Réglons d’entrée de jeu le cas de la logique.

Si on accepte les conclusions de l’Agence internationale de l’énergie, qui estime qu’on doit cesser d’investir dans de nouveaux projets d’approvisionnement en combustibles fossiles…

Si on sait qu’il faut à tout prix limiter la hausse de la température de la terre à 1,5 °C d’ici 2100 et que le secteur de l’énergie est à l’origine des trois quarts des gaz à effet de serre d’origine humaine qui se retrouvent dans l’atmosphère…

S’il est clair que Justin Trudeau a raison, par conséquent, de vouloir mettre en œuvre son projet de plafonnement des émissions du secteur pétrolier et gazier…

Alors, non, il n’est pas logique d’accorder des milliards en subventions et aides de toutes sortes chaque année à l’industrie des hydrocarbures du Canada.

Absolument pas.

« Ce ne sont que des motivations politiques qui font en sorte que, malgré les engagements du gouvernement canadien et du G20 depuis 2009, on continue à subventionner l’industrie pétrolière et gazière du Canada, qui compte sur une force de lobbyisme impressionnante », affirme le responsable de la campagne Climat-Énergie de Greenpeace Canada, Patrick Bonin.

« Elle exerce une pression continue sur le gouvernement pour garder ces subventions-là », ajoute-t-il.

Mais le Canada, sachez-le, est loin d’être le seul à être d’une intenable générosité à l’égard du secteur des hydrocarbures.

Le secrétaire général de l’ONU a fait référence à ce problème à la mi-novembre, alors qu’il s’est plaint de la timidité des engagements pris lors de la COP26. « Les promesses sonnent creux quand l’industrie des énergies fossiles continue de recevoir des milliers de milliards de subventions », a-t-il dit.

Notons que parmi cette valse des milliards, il est très difficile d’évaluer la somme exacte qui est versée sur une base annuelle à l’industrie canadienne des énergies fossiles.

L’organisme Oil Change International a publié en octobre dernier une étude selon laquelle, entre 2018 et 2020, le Canada a alloué chaque année quelque 14 milliards de dollars en aides financières de toutes sortes aux divers acteurs de l’industrie.

Quelques mois plus tôt, l’organisation Environmental Defence avait estimé que cette aide, spécifiquement pour l’année 2020, s’était chiffrée à près de 18 milliards de dollars.

Ce chiffre tient compte « des subventions, mais aussi du financement, qui provient surtout d’Exportation et développement Canada », nous a expliqué un des responsables de l’organisation, Dale Marshall, qui déplore le manque de transparence d’Ottawa en la matière.

Il faut cependant s’attendre à d’importants changements au cours des prochaines années. Ils pourraient être annoncés dès le prochain budget fédéral.

Lors de la dernière campagne électorale fédérale, les libéraux ont promis qu’ils allaient « éliminer les subventions à l’industrie des combustibles fossiles » dès 2023.

Ils prévoient aussi « élaborer un plan pour éliminer progressivement le financement public du secteur des combustibles fossiles, y compris des sociétés d’État ».

Le diable est dans les détails, direz-vous.

C’est vrai.

Ce sera à suivre de très près.

D’autant plus que le gouvernement fédéral a pris l’habitude de soutenir qu’il existe des subventions « inefficaces » et d’autres qu’il juge « efficaces ».

On présume que parmi ces dernières figurent entre autres les sommes offertes à l’industrie pour qu’elle puisse réduire ses émissions de gaz à effet de serre.

Mais même ces subventions sont controversées.

« Ces sociétés font des profits extraordinaires en 2021. On va les payer pour qu’elles aient une meilleure performance environnementale alors qu’on pourrait atteindre [cet objectif] avec des réglementations ? », a lancé Dale Marshall, soulignant que ce sont des sommes qui n’iront pas, par exemple, à l’industrie des énergies renouvelables.

Décidément, un peu de logique, dans ce domaine, nous ferait le plus grand bien.

Et la planète en a besoin.