Pascale Bussières me donne rendez-vous au Petit extra, rue Ontario Est. L'actrice, depuis peu porte-parole des Éditions du Trécarré, était de la distribution de La capture, le plus récent film de Carole Laure.

Elle tourne en ce moment Suzie, de Micheline Lanctôt, qui l'a dirigée dans Sonatine, à 13 ans. Discussion sur le métier d'actrice.

Marc Cassivi: Tu as été révélée très jeune au cinéma dans Sonatine. As-tu l'impression que ç'aurait pu être une malédiction d'avoir un rôle si fort à un si jeune âge?

Pascale Bussières: Certainement. Mais ça n'a pas été le cas. Sonatine était un film hors de son temps. Je considère que j'ai aussi fait des choses très intéressantes par la suite. C'est sûr qu'aujourd'hui, à 40 ans, je regarde ça et je me dis: «Quelle drôle de vie!» De commencer si jeune dans ce métier-là, c'est tellement déterminant sur notre identité. Très tôt, on apprend à se construire dans le regard des autres. Rendu à mon âge, j'ai pris du recul par rapport à ça.

M.C.: Même si tu n'en as pas trop souffert...

P.B.: C'est vrai. Mais depuis quelques années, je considère que les rôles intéressants, il n'y en a pas des tonnes. On se met tout d'un coup à faire des seconds rôles, des rôles de soutien. Je ne me plains pas. C'est souvent là qu'on peut le plus expérimenter, qu'on a la plus grande marge de manoeuvre pour composer un personnage. Mais de porter un film, d'en être complètement investie, ça ne m'est pas arrivé tant que ça. Quand je vois une actrice comme Cate Blanchett hésiter à rejouer Élisabeth, je lui en veux un peu. Je n'hésiterais pas une seconde. C'est un rôle magistral. Il n'y a rien qui va accoter ça dans sa vie d'actrice, je pense.

M.C.: As-tu l'impression d'avoir déjà joué le rôle de ta vie? Alys Robi par exemple?

P.B.: Non. J'espère que non.

M.C.: Te sens-tu une empathie particulière pour les jeunes acteurs qui sont portés aux nues à 13 ou 14 ans?

P.B.: C'est toujours extrêmement délicat. Il faut être très solide psychologiquement. Parce qu'on se construit là-dessus et qu'il n'y a rien de plus éphémère. Un jour, ça risque de tomber. Des carrières qui durent dans ce métier-là, il n'y en a presque pas. Il y a énormément de vagues. Il faut être capable de se définir par autre chose, d'être plein de ressources pour pallier ça. Mais tout dans la société encourage le succès, encourage la notoriété, la reconnaissance publique. C'est dur de s'opposer à ça, surtout à 12-13 ans. D'avoir la force ou la lucidité de prendre du recul, ce n'est pas simple. Je pense qu'à 13 ans, quand je suis revenue du tournage de Sonatine, j'en parlais très peu à l'école. Il y a eu comme un mécanisme de défense chez moi. J'ai désamorcé ça très vite. C'est un moment de sa vie où l'on est très poreux et malléable. Je considère que cette expérience a été déterminante. Je viens de le réaliser. C'est quelque chose qui m'avait échappé jusqu'à maintenant.

M.C.: Aujourd'hui, tu fais le point? Tu sembles être dans une période de grande réflexion...

P.B.: Je veux écrire. Je regarde Carole (Laure) qui écrit et qui est passée à la réalisation, comme Micheline et Denise (Filiatrault). Des femmes qui ont été actrices, et qui ont été mères aussi. Il y a tout ce processus-là aussi, de se demander si on peut toujours être dans la création quand on est dans la maternité. On est très confrontées à ça comme actrices, je trouve. Il y a le désir de pousser les choses encore plus loin. Comme si la maternité avait décuplé nos forces. Comme si on avait traversé la plus grande épreuve de sa vie, écartelée sur la table d'accouchement, et qu'on se disait: «Emmènes-en des films! Je suis capable.» Mais en réalité c'est très difficile et très éprouvant. C'est vrai qu'il y a des choses plus difficiles à faire quand on est mère. Une façon de s'investir qui n'est plus la même. Un désir d'être en amont dans le processus créatif. On peut être tanné d'être dans l'univers des autres. Il y a une volonté de prendre la parole et de mettre à l'épreuve sa capacité identitaire, de dire les choses à sa façon, en montrant sa perspective du monde. Je ne renie pas mon métier. Il n'y a pas un endroit où je suis mieux que sur un plateau de tournage. Probablement parce que j'ai commencé si jeune.

M.C.: Tu dis qu'aujourd'hui, il n'y a pas beaucoup de rôles intéressants, mais dans les années 90, tu étais vraiment l'égérie du cinéma québécois...

P.B.: Oui. Il y a eu un an ou deux où j'ai fait trois films par année.

M.C.: As-tu eu peur que ce soit trop?

P.B.: C'est ce qu'on m'a dit. Il y a eu une chronique de Foglia qui disait qu'on me voyait trop. J'ai failli lui répondre qu'il était à La Presse depuis 25 ans et qu'on ne se plaignait pas de trop le lire. Excusez-moi de gagner ma vie! C'est un contexte difficile au Québec. Je viens de tourner avec Romain Duris (Afterwards, de Gilles Bourdos). En France, les acteurs tournent quatre ou cinq films par année. Personne ne dit qu'on voit trop Romain Duris au cinéma. Je considère que j'ai été très choyée à cette époque-là. Parce que des bons acteurs, il y en a des tonnes.

M.C.: Tu as tourné quelques films au Canada anglais et à l'étranger. Est-ce qu'il y a eu un moment où tu as eu envie d'aller voir ailleurs et d'y rester, pour assouvir des ambitions internationales?

P.B.: Je suis très attirée par l'Angleterre. J'aime beaucoup le cinéma ouvrier et social de Ken Loach et de Mike Leigh. Il aurait fallu que j'aille y vivre. Mais je n'ai pas eu le courage. Je suis très enracinée dans ma culture, dans mon environnement immédiat. En France, il faut être sur place. Ce n'est pas possible de travailler à distance. J'aurais peut-être dû aller vivre en France. Je me souviens à un moment donné d'avoir entendu Marie-Josée Croze de Paris et d'avoir fermé la radio.

M.C.: Parce que tu aurais voulu être à sa place?

P.B.: Oui. Je la sentais libre alors que moi, je ne l'étais pas. J'avais deux enfants. Je me suis dit qu'il était trop tard. Mais ce qui m'est arrivé depuis quelques années, c'est de me sentir bien vis-à-vis de mon métier. C'est un métier tyrannique pour une actrice. Je résiste au Botox, je résiste à la jeunesse éternelle, mais il faut que j'assume le reste. C'est un peu rushant de jouer la mère de Catherine de Léan, qui a 27 ans (dans La capture). Quand j'ai vu Carole, j'ai eu envie de lui demander: «Tu me proposes le rôle de la mère ou de la fille?» (rires). En même temps, je me sens beaucoup mieux aujourd'hui qu'à 25 ans.