Jean Dujardin parle d'un trio «improbable». Il est vrai qu'il est un peu difficile d'imaginer spontanément l'acteur se fondre dans l'univers grinçant de Frédéric Beigbeder ou dans celui, pour le moins débridé, de Jan Kounen (Dobermann).

«Bizarrement, nous avons trouvé un chemin en commun, expliquait Dujardin lors d'une rencontre de presse tenue à Paris il y a quelques mois. On s'est reniflés et on s'est plu! Tout s'est bien passé, même s'il y a eu des moments un peu plus durs. Nous partagions la même vision. 99F est un film à la fois créatif et récréatif.»

Dujardin prête ainsi ses traits à Octave Parango, le personnage disjoncté avec lequel les lecteurs du roman de Beigbeder ont fait connaissance il y a huit ans. Concepteur dans une grande agence de publicité, Parango est en pleine crise existentielle par rapport à sa vie et à sa profession. La société de consommation, qu'il contribue largement à faire tourner, lui pue au nez. Aussi, Jan Kounen a-t-il conçu son film comme un délire hallucinogène, à l'image d'un personnage excessif qui tente de tromper son malaise en se défonçant sans mesure.

À vrai dire, la vision du cinéaste est tellement particulière sur le plan formel que Dujardin ne savait plus trop à quoi s'attendre, même une fois le tournage du film terminé. «Il n'y avait rien d'évident, ni à la lecture du scénario, ni sur le tournage. Il n'y a que Jan qui savait ce qu'il avait en tête. J'avoue avoir été très surpris en voyant le film pour une première fois. Je me suis même senti un peu nauséeux. Je croyais me marrer un peu plus. Cela dit, je suis heureux d'y être allé à fond. Moi qui, avec des personnages comme Brice ou OSS, suis plus habitué à l'humour au deuxième degré, j'ai dû cette fois creuser, chercher le personnage un peu plus dans mon âme.»

Contrairement à ce que l'on pourrait croire d'emblée, Dujardin affirme n'avoir jamais pensé à l'auteur pour composer son personnage. Même si, à l'évidence, les deux ont plusieurs points en commun. L'acteur a plutôt préféré revoir Bad Lieutenant d'Abel Ferrara (et la célèbre scène d'Harvey Keitel dans la voiture) afin de faire écho à l'aspect désespérant du personnage.

«De Beigbeder, je n'ai finalement emprunté que l'allure: les lunettes, la perruque, la suffisance, dit-il. Mais pour interpréter le rôle, je pensais à Octave Parango, pas à Frédéric Beigbeder. J'ai évidemment rencontré Frédéric quelques fois sur le plateau, d'autant plus qu'on le voit dans quelques scènes. Chaque fois qu'Octave fait un gros bad trip, Frédéric est là!»

Désormais incontournable

Dans un pays où l'on a tendance à vite ranger les artistes dans des catégories, Dujardin a dû se faire une place à l'arraché. Son passage au grand écran ne s'est pas fait sans heurts, sa notoriété télévisuelle étant forcément suspecte aux yeux de nombreux intervenants du milieu du cinéma. Bien entendu, les succès successifs de Brice de Nice et d'OSS 117 ont changé la donne, mais Dujardin n'a pas encore tourné sous la direction des cinéastes les plus réputés de l'Hexagone.

«On ne vient pas beaucoup à moi, reconnaît-il. Au cinéma, j'ai tourné essentiellement dans des premiers et seconds films. On a aussi vite fait de moi un acteur rigolo, populaire auprès des moins de 12 ans! Voilà pourquoi j'ai été flatté qu'on me propose 99F, avec cet humour méchant qui va jusqu'au bout de sa nature. Cela dit, je souris toujours un peu quand on me dit que j'ai fait preuve de «courage» avec ce rôle car je ne vois pas du tout les choses sous cet angle. Au contraire, j'ai toujours fait ce dont j'ai eu envie.»

Le défi sur le plan du jeu, et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle Kounen a fait appel à Dujardin, consistait à rendre le personnage un peu moins détestable à la fin du récit qu'il ne l'est au début.

«Je me suis dit que j'allais mettre le paquet au départ pour mieux racheter le personnage ensuite, explique l'acteur. Tenter de trouver des brèches pour laisser enfin passer l'humanité.»

Jean Dujardin a du pain sur la planche cette année. Il a repris ce printemps le costard d'OSS pour OSS 117 - Rio ne répond plus, un film conçu avec la même équipe que le premier volet (Michel Hazanavicius est toujours aux commandes), et il s'apprête aussi à tourner bientôt Lucky Luke sous la direction de James Huth, son complice de Brice de Nice. Il sera par ailleurs aussi la vedette du prochain film de Nicole Garcia. Désormais, Dujardin est un incontournable.

«Il y a de nouvelles familles qui sont en train de se créer dans le milieu du cinéma, un peu sur le modèle de celles qui nous ont donné les films du dimanche soir qui nous réjouissaient tant à l'époque où j'étais gamin, observe-t-il. Cela me plaît bien.»