Dans le premier film que réalise le producteur Philippe Godeau, François Cluzet se glisse dans la peau d'un alcoolique abstinent. Un rôle en or pour un acteur dont le jeu tend vers la sobriété de plus en plus.

L'alcoolisme. Ce sujet est au coeur du premier film que signe en tant que réalisateur l'éminent producteur français Philippe Godeau. Comptant déjà près de 25 longs métrages à son actif (du Garçu de Pialat à Mr. Nobody de Jaco Van Dormael), Godeau a trouvé dans le récit autobiographique de Hervé Chabalier, créateur de l'agence de presse CAPA, matière à plonger.

«Cela s'est fait presque malgré moi, expliquait la semaine dernière l'auteur cinéaste au cours d'une interview accordée à La Presse. J'ai proposé cette histoire à quelques metteurs en scène, mais aucun n'avait la même vision que moi. Des proches m'ont alors incité à réaliser ce film moi-même.»

Il est vrai que sur papier, le thème de l'alcoolisme peut prêter flanc à une vision didactique, obligatoirement accompagnée d'une virée en enfer et d'une morale à la clé. Ce genre d'histoire relève habituellement davantage de l'assistance sociale que du cinéma, à vrai dire. Le danger du «film de CLSC» en quelque sorte.

«Quand Philippe a évoqué ce projet, j'ai d'abord éprouvé des réticences, révèle de son côté François Cluzet, vedette du film. Ce sujet a déjà été abordé dans quelques films et la plupart d'entre eux sombrent dans un aspect pathétique. Ayant déjà moi-même eu des problèmes de consommation, je ne souhaitais pas toucher à cela. Mais Philippe ayant insisté, j'ai finalement lu son scénario.

»Cela m'a passionné»

«Je me suis alors rendu compte, poursuit l'acteur, que le récit ne s'attarde pas à décrire la vie d'un type qui boit, mais plutôt celle d'un type qui a décidé d'arrêter de boire. Cela m'a passionné. Je trouvais très belle cette idée d'un bouleversement, d'une remise en question organique. J'y voyais la possibilité d'une aventure humaine extraordinaire. À la lecture, j'ai été profondément touché. Et j'ai vu ce que je pouvais apporter au film en matière d'intimité.»

Cluzet se glisse ainsi dans la peau de Hervé, grand patron d'une agence de presse, qui, loin des siens, décide de se refaire une santé dans un centre de désintoxication situé au milieu de nulle part. Huis clos intempestif dans lequel la dizaine de patients sont forcés de faire face à eux-mêmes.

«J'ai été ravi quand j'ai constaté que le récit appelait une dynamique de groupe, souligne l'acteur. D'autant que nous partagions une sensibilité commune. Nous empruntions tous la même approche: jouer le moins possible, être dans la vérité. Dans ce genre d'histoire, le moindre effet peut tout gâcher. À mes yeux, il y a environ 99% de chances de se planter avec un sujet pareil. Les pièges sont nombreux. Heureusement, Philippe fait partie de cette catégorie de cinéastes qui misent sur la sobriété. Il revendique une mise en scène qui ne se voit pas.»

L'abandon

Ce parti pris s'inscrit parfaitement dans la démarche d'un acteur qui aspire maintenant à dépouiller son jeu le plus possible.

«Je ne sais pas si je sortirai gagnant en choisissant le parti de la sobriété - je le saurai plus tard -, mais je tends de plus en plus vers des rôles qui m'intéressent sur le plan humain, indique Cluzet. La bienveillance du metteur en scène est essentielle. Sa capacité d'écoute aussi. Dans Le dernier pour la route, il y a, par exemple, une scène où mon personnage ressent une crise d'angoisse et de désespoir en pleine nuit. Avant de tourner cette scène, tout fin seul dans ma loge, je ne ressentais pas l'émotion du tout. Auparavant, j'aurais tout fait pour aller la chercher. Là, je me suis dit qu'il n'y en aurait tout simplement pas. Or, elle a surgi d'un coup. Et Philippe a su la capter. Une vraie générosité.»

De son côté, Philippe Godeau signale que ses années d'expérience à titre de producteur l'ont forcément nourri en tant que cinéaste.

«Bien entendu, réaliser un premier film alors qu'on a déjà atteint un âge plus mûr ne procède pas de la même démarche, explique-t-il. Un cinéaste plus jeune est généralement en état d'urgence. Il m'importait de toujours garder en tête le facteur divertissement. Sinon, on peut facilement plomber le spectateur. Le souvenir d'un tournage avec Maurice Pialat - avec qui j'ai travaillé pour son dernier film, Le garçu - m'est aussi revenu à la mémoire pour l'occasion. Les plus belles choses que capte une caméra ne sont pas nécessairement celles qui ont été prévues. Il faut avoir l'humilité de dire qu'on ne sait pas.»

«Moi, un type qui dit «je ne sais pas», je trouve ça très beau, renchérit François Cluzet. C'est la raison pour laquelle j'estime que Philippe est un grand metteur en scène. Non seulement il a cette capacité de dire qu'il ne sait pas - alors que, dans le fond, il sait très bien -, mais il a cette générosité de solliciter aussi l'apport des acteurs. Avec lui, c'est un vrai travail de collaboration. Après 35 ans de métier, le rôle de collaborateur me convient très bien. J'ai besoin de sentir cette complicité. Si je me sens trop seul, je peux me faire très mal. Et, très franchement, je n'en ai pas envie.»

François Cluzet vient d'obtenir deux nominations aux César du cinéma français dans la catégorie du meilleur acteur. Il est cité grâce à sa performance dans Le dernier pour la route, de même que pour À l'origine, le plus récent film de Xavier Giannoli (à l'affiche au Québec dans quelques mois).

Le dernier pour la route prend l'affiche le 29 janvier. Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.