Le bar Le Kingdom au centre-ville. Une zone neutre. Jusqu'au jour où les membres de I.B. 11, un gang de rue, tentent de prendre le contrôle des lieux. Pour faire échec à la menace, la meilleure arme demeure... la psychologie. Voilà l'essence de BumRush.

Les motards, les pénitenciers et maintenant, les bars et les gangs de rue. Décidément, on ne s'ennuie pas dans les univers du réalisateur Michel Jetté. Bagarres, armes à feu, drogue.... Nommez les travers de l'humanité et les chances sont bonnes de les retrouver dans ses films. Qu'il ne faut pas voir comme un simple divertissement.

Jetté, en fait, est fasciné par ces milieux qu'il veut mieux comprendre et cerner pour ensuite les présenter au public. Avec, parfois, des résultats dont il s'étonne lui-même.

Ainsi, en 2000, son premier film Hochelaga, relatait l'histoire d'un jeune désirant devenir membre à part entière d'un club de motards. Après la sortie du film, Jetté a été informé que quelques membres d'une maison de jeunes qui s'apprêtaient à devenir strikers ont sagement renoncé à ce douteux plan de carrière.

«Je fais tous mes films avec respect, dit-il en entrevue. Je ne me moque de personne. J'essaie au contraire de comprendre la dynamique profonde, les conflits qui surgissent entre individus ou entre gangs. J'essaie de leur donner un sens afin que monsieur et madame Tou-le-Monde puissent en tirer quelque chose.»

Son nouvel opus, BumRush, qui met en vedette Emmanuel Auger et feu Bad News Brown, navigue dans les mêmes eaux. Jetté y explore deux mondes qui se côtoient (parfois) sur le même territoire: les gangs de rue et les portiers. Le réalisateur a pour hypothèse que derrière les grandes opérations policières des dernières années pour démanteler les clubs de motards criminels, un certain chaos s'est installé dans la métropole. Et que les premiers à en payer le prix ce sont les portiers, une catégorie d'individus formant une classe à part et vivant selon des codes singuliers.

«Auparavant, il y avait deux ou trois grandes familles de criminels, dit Jetté. Mais avec l'immigration massive, on en arrive avec une multitude de gangs (arabes, asiatiques, haïtiens, jamaïcains) qui entrent en guerre. Des alliances se font et se défont et ça devient tellement complexe que tout est incertain et nébuleux.»

Stratégie, stratégie

Pour illustrer son propos, Jetté a utilisé comme canevas Le Kingdom, un bar du boulevard Saint-Laurent qui existe réellement et dont le propriétaire s'appelle Papy (Pat Lemaire) qui joue son propre rôle dans le film. La fiction embarque lorsque deux gangs de rue tentent de prendre le contrôle du bar. Ils se heurtent à des portiers faisant corps autour de L'Kid (Emmanuel Auger), ancien militaire. Tous les membres du groupe ont servi en Bosnie d'où ils ont ramené quantité de mauvais souvenirs et deux ou trois trucs pour déstabiliser l'ennemi. Dont la psychologie. L'idée est d'être capable de retourner l'impulsivité des criminels contre eux-mêmes.

De tels portiers existent, assure Jetté. «Ils sont comme des mercenaires, dit-il. Ils sont engagés pour faire des jobs très durs. Ce sont souvent d'anciens militaires, des frères d'armes prêts à vivre des situations extrêmes. Ils ne voient pas les choses sous l'angle de la sécurité, mais de la stratégie. Ils sont en mesure de contrôler les individus, à les déstabiliser en faisant de la propagande. Ils utilisent ces tactiques pour éviter que des situations tendues virent en bain de sang.»

Ce qui n'est pas toujours le cas. Il arrive que les choses tournent mal. D'ailleurs, les situations exploitées dans BumRush constituent une courtepointe de plusieurs événements isolés survenus à Montréal dans la dernière décennie.

Calme plateau

N'ayant pas obtenu le financement des institutions publiques, Jetté et la productrice Louise Sabourin (sa conjointe) ont créé un modèle de financement inspiré de la coopération. Ils ont créé leur entreprise de distribution du film et entendent partager les profits des recettes aux guichets, ventes internationales et ventes de DVD aux artisans. L'équipe technique était réduite et plusieurs comédiens viennent de la rue.

Jetté est enchanté des résultats. «J'ai le sentiment que les gars de la rue ne peuvent pas surjouer, dit-il. Ces gens-là gardent toujours un profil bas, ce qui leur donne un look de dur à cuire. S'ils surjouent, cela risque de leur donner une apparence de fragilité et ils ne veulent pas cela.»

Et la cohabitation entre ethnies sur le plateau? Excellente, assure Jetté. «J'ai toujours fait des films de durs, mais mes plateaux ont toujours été d'un calme incroyable et d'un grand respect. Personne ne se crie après sur mes plateaux. Je ne tolérerais pas ça.»

Le grand vide laissé par Bad News Brown

À quelques jours de la sortie de BumRush, toute l'équipe du tournage ressent un grand vide devant l'absence de Bad News Brown, rappeur et harmoniciste assassiné dans le quartier Petite-Bourgogne le 12 février dernier. Ce dernier interprétait Loosecanon, un des membres haut placés et tueur du clan I.B. 11.

Si la mort du musicien, qui était père d'un garçon de 3 ans, n'est pas élucidée, elle n'a pas de rapport avec le film, croit Michel Jetté. «Il était peut-être à la mauvaise place au mauvais moment. C'était un artiste en pleine montée internationale. Sept de ses musiques sont dans le film. Pour moi, il est un des grands responsables de la richesse du film.»

Emmanuel Auger salue le grand talent musical du disparu. «Lorsqu'il jouait de l'harmonica, il t'enchantait, dit-il. Tu avais l'impression d'être le serpent sortant du pot. Dans la vie, c'était un ange, un gars très gentil, qui riait tout le temps. Je t'en parle et je l'entends rire. J'avais hâte à la période de promotion après le film pour avoir le temps de mieux le connaître. Malheureusement, ça n'arrivera pas.»