Vingt ans après 12 Monkeys, Terry Gilliam renoue avec la science-fiction grâce à The Zero Theorem, film d'anticipation aux accents de Brazil, son chef-d'oeuvre de 1985 (dont il n'a malheureusement pas la grâce).

Dystopie campée dans un avenir rapproché à Londres - où Gilliam, né aux États-Unis, habite depuis les années 60 -, The Zero Theorem sera présenté dimanche au Festival Fantasia.

Le 12e long métrage du cinéaste de Fear and Loathing in Las Vegas s'intéresse à l'aliénation de l'homme par la technologie, à travers un génie asocial (Christoph Waltz, aux crâne et sourcils rasés) tentant de développer une formule mathématique pour élucider le sens de la vie...

Le scénariste de The Meaning of Life, 73 ans, termine par ailleurs dimanche à Londres une série de spectacles avec la mythique troupe comique qui l'a rendu célèbre, Monty Python. Une première réunion sur scène en 30 ans de Gilliam avec ses anciens complices Eric Idle, John Cleese, Michael Palin et Terry Jones, dont les billets se sont vendus à la vitesse de l'éclair (43 secondes pour le premier spectacle).

Discussion franche avec un artiste iconoclaste.

Votre film aurait pu s'intituler The Meaning of Life. On y retrouve des références à 12 Monkeys et Brazil. C'était volontaire de votre part de revisiter votre passé?

J'ai pourtant tenté de masquer tout ce qui ressemblait à Brazil! Le scénario (de Pat Rushin) était très sombre, très gris et opprimant. J'ai voulu rendre le récit plus joyeux et coloré pour le différencier de Brazil. Tout ce qui est gris dans le film appartient au personnage de Qohen (Waltz). Mais c'est vrai que la première fois que j'ai lu le scénario, il y a six ou sept ans, j'y ai trouvé des éléments de tous les films que j'ai réalisés dans le passé. Et qui nourrissent mon obsession grandissante pour la manière dont les gens se coupent les uns des autres et de la réalité qui les entourent.

Vous vous intéressez à l'incommunicabilité dans ce film. À notre rapport à l'ordinateur, aux médias sociaux...

Les gens sont accros aux médias sociaux. Au lieu de vivre leur vie, ils la commentent. Mon film pose la question suivante: Comment sait-on qui l'on est? On apprend seulement à le savoir lorsqu'on est vraiment seul avec soi-même. Il faut de la solitude pour comprendre qui l'on est. Qohen se coupe du monde et lorsqu'il finit par avoir des contacts réels avec d'autres, il ne sait plus comment interagir. Comme bien des gens sur les réseaux sociaux.

Vous dites cela, mais pourtant, vous êtes vous-même actif sur Facebook et sur Twitter. Je vous ai vu y annoncer la projection de votre film à Montréal...

J'utilise Facebook, mais je ne sais pas comment cela se retrouve sur Twitter. C'est ma fille qui a tout organisé! Je refuse de commenter ce que je fais, ce que je mange, avec qui j'ai passé ma soirée. Je suis pourtant pour l'essentiel de la journée devant un ordinateur et je suis fasciné par l'évolution de tout ça. On a accès à toute cette information, mais on en fait n'importe quoi. C'est formidable quand cela sert vraiment à la recherche. Mais je crains que des outils comme Facebook ou Twitter ne soient que des plateformes où n'importe qui peut s'exprimer sur n'importe quoi, critiquer ce qu'il ne connaît pas et perdre son temps. Pour moi, c'est du potinage comme il y en a autour de la clôture du jardin, mais à plus grande échelle. À la fin de mon film, Qohen se rend compte qu'il n'a d'emprise que sur le monde virtuel. C'est triste.

Quelle importance a eu Christoph Waltz dans ce projet?

Il fut essentiel. Sans lui, je n'aurais pas pu avoir le financement nécessaire! Ce qui est ironique, c'est que Christoph soit devenu une vedette «rentable» à 52 ans. Il porte tout ce bagage intéressant, toutes ces frustrations de ne pas avoir vu son talent reconnu plus tôt. Cela enrichit nécessairement son jeu. Un fois que j'ai eu le feu vert des financiers, j'ai pu l'entourer d'acteurs que j'adore, comme Matt Damon et Tilda Swinton.

C'est un film qui a été fait avec un petit budget...

Il y a six ans, on parlait de 20 millions. Je l'ai fait avec un peu plus de la moitié, en tournant en Roumanie par exemple, pour minimiser les coûts. C'est un petit film à propos d'une grande déroute.

Vous avez de façon notoire souvent eu de la difficulté à financer vos films. Pourquoi donc?

Je suis maudit! Il y a un dieu et il me déteste! [rires] Franchement, je crois que mes déboires ont été exagérés par le fait qu'ils ont été documentés dans un film [Lost in La Mancha, en 2002]. Ça nourrit la légende, ça donne une bonne histoire, mais bien d'autres ont eu des difficultés semblables.

Malgré tous ces déboires, vous avez décidé de remettre sur les rails ce projet maudit, The Man Who Killed Don Quixote...

C'est comme une tumeur qui a infesté mon corps! Je ne pourrai pas survivre si je ne m'en débarrasse pas une fois pour toutes. Oui, nous allons faire une troisième tentative [sans Johnny Depp, rendu trop vieux pour le rôle] grâce au soutien d'un jeune producteur espagnol très motivé. En fait, je fais des screen tests demain. Mais je ne vous dirai pas avec qui!

Votre grand retour sur scène avec Monty Python se termine ce week-end. Vous étiez le moins chaud du groupe à l'idée. Comment ça s'est passé?

Disons que j'ai hâte de redevenir un réalisateur de films! Sincèrement, lorsque 16 000 personnes vous applaudissent tous les soirs, c'est difficile de ne pas aimer ça. Et c'est un très bon spectacle. Même ma femme, qui trouvait que c'était une bien mauvaise idée, est venue le voir cette semaine et elle a aimé ça. Ce que je retiens par-dessus tout, c'est que ça me donne plus de liberté pour faire mes prochains films. C'est le principal intérêt pour moi. Quand on n'a pas à se soucier de payer l'hypothèque, on a le loisir de choisir ses projets.

Il y a eu des tensions entre vous...

Nous avons toujours maintenu un lien. Il n'a jamais été coupé. Nous détenons ensemble les droits des émissions de télévision, de certains des films. Ce n'est pas comme si nous ne nous étions pas vus depuis 30 ans... Je viens d'apprendre que mon film ne prendra pas l'affiche en salle au Canada, mais sortira directement en DVD et en VSD. Ça ne me rend pas très heureux, vous savez!

Je ne le savais pas. Je vérifie et je vous envoie la réponse par Twitter?

Je préfère que vous l'écriviez sur ma page Facebook! [rires]

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* Vérification faite, The Zero Theorem sortira exclusivement en DVD et VSD mardi. La seule projection en salle aura lieu dimanche à 14 h 20 dans le cadre de Fantasia, au Théâtre Hall Concordia, 1455, boul. De Maisonneuve Ouest

Le dernier spectacle de la série de Monty Python sera présenté dans différentes salles de cinéma dimanche.