Ils criaient « Charlotte ! Charlotte ! » en brandissant leurs téléphones et appareils photo. Deux douzaines de badauds et de paparazzis faisant le pied de grue depuis des heures devant l'hôtel Martinez, en espérant croiser une star. Ça tombait bien : elles étaient toutes là.

Le hasard a fait que j'ai quitté le dîner d'ouverture du Festival au même moment que Charlotte Gainsbourg et les autres acteurs du film d'ouverture d'Arnaud Desplechin (Les fantômes d'Ismaël), Mathieu Amalric et Louis Garrel.

Il était 1 h 30 du matin. Pendant que Charlotte - dans une robe lamée argent vintage laissant peu de place à l'imagination - se prêtait de bonne grâce au jeu des égoportraits avec ses admirateurs, Louis Garrel est passé sous mon nez et a filé à l'anglaise.

Mathieu Amalric, bon joueur, semblait accepter sans rechigner son statut de prix de consolation des chasseurs d'étoiles. Charlotte Gainsbourg et lui se sont retrouvés cinq minutes plus tard, sur une terrasse de la Croisette, à être photographiés aux côtés d'une femme traînant sa bonbonne d'oxygène - il y a des demandes qui ne se refusent pas - sous le regard de deux fausses blondes siliconées.

Je peux en témoigner : Charlotte ne fait pas de distinctions de classe. Dans la très chic salle de bal du Martinez, je l'ai vue sourire pour la photo, une demi-heure plus tôt, avec deux dames grimées à l'excès qui accompagnaient leurs maris « de l'industrie ».

N'allez pas croire que j'ai traqué la chanteuse-comédienne toute la soirée - ce n'est pas mon genre -, même si j'ai eu peur de la voir disparaître, peu après minuit, lorsqu'elle a croisé Louis Garrel près de la sortie. Ils cherchaient peut-être les toilettes ou allaient fumer une cigarette. Après tout, « stars, they're just like us »...

Je ne fume pas. Je n'ai donc pas accompagné Niels Schneider sur la terrasse, après l'avoir salué. Il ne m'en voudra pas. Le jeune acteur québécois, devenu une vedette du cinéma français (m'a confirmé un journaliste parisien), est à Cannes à titre de membre du jury de la Quinzaine des réalisateurs. Il en profite aussi, m'a-t-il dit, pour plancher sur un scénario de film avec un collaborateur. Je lui ai conseillé de ne pas se coucher trop tard. Soyez sans crainte : mononcle Marc veille sur nos jeunes talents expatriés.

Pendant que le reste de la plèbe festivalière faisait la fête à la « Welcome Party », à l'autre bout de la Croisette, j'ai obtenu une invitation au très sélect dîner d'ouverture.

J'ai mes entrées (elle s'appelle Christine). On m'avait convié vers 22 h 30-22 h 45. Je suis arrivé vers 23 h, pour faire « classe », sous les flashs des photographes (pas pour moi, les flashs).

Il était 23 h 30 lorsqu'on nous a gentiment invités à regagner nos places afin que l'on puisse servir le repas. Marion Cotillard, qui piquait une jasette avec Pedro Almodóvar au milieu de la salle, n'a pas bronché, insensible aux règles élémentaires d'étiquette et de bienséance. Je les aime beaucoup tous les deux, mais j'ai failli leur dire qu'on attendait tous après eux.

À 23 h 45, c'est-à-dire alors même que mes garçons soupaient à Montréal, le dîner n'était pas encore servi. Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas de bonne humeur lorsque la faim me tenaille. Et j'avais faim en ta..., comme dirait sans doute Moose Dupont.

J'attendais ma « pièce de boeuf confite 48 h » avec force impatience et une féroce envie de dire au chef étoilé Michelin Christian Sinicropi que 46 h ou 47 h, ça ferait amplement l'affaire pour accompagner mon Château d'Armailhac 2006.

Je n'ai pas osé. Je ne voulais pas, devant mes hôtes, faire honte à Denise Bombardier, qui lors de mon dernier séjour à Cannes avait qualifié mes chroniques mondaines de « provinciales » (elle n'a pas obtenu de doctorat en ironie, celle-là). Pour Denise, qu'indisposait la description de mon vieux complet « bleu fripé », je me suis acheté un nouveau costume de qualité d'un bleu très franc, à bon prix.

Même si la compagnie aérienne a égaré ma valise, j'ai pu la récupérer à temps pour envoyer chemise et complet chez le nettoyeur. Avec mon noeud papillon noir, « emprunté » à mon beau-frère il y a huit ans, j'ose dire que j'avais fière allure. Je n'aurais pas eu à rougir parmi les commentateurs du hockey à TVA Sports...

C'était avant que l'on me fasse gentiment remarquer, avant le dessert, que j'avais ostensiblement taché de « velours d'artichaut au caillé de brebis » mon nouveau veston. Le gars a beau changer d'habit, il n'est pas plus sortable. « Sorry, Denise ! », comme on dit au Cap d'Antibes.

Je ne veux pas sembler blasé, mais on en vient, à force de fréquenter ces soirées cannoises année après année, à croiser les mêmes personnes. Juste devant moi, Élodie Bouchez mangeait son entrée à pleines bouchées (toudoum-tchi). Ça m'a rassuré. À ses côtés, je n'ai pas reconnu - sans son casque ! - son Daft Punk de chum, Thomas Bangalter.

Will Smith n'avait sans doute pas reçu le mémo : il ne portait pas de veston. Personne n'a osé lui faire remarquer qu'il contrevenait au protocole élémentaire. Je n'ai pas davantage osé demander à Susan Sarandon, impériale dans une robe de velours verte, si elle regrettait de ne pas avoir voté pour Hillary Clinton (après avoir soutenu la candidature de Bernie Sanders).

À défaut d'en trouver dans mon assiette, j'avais une place de choix au bout de la table pour voir passer le gratin. Avant même que le plat principal n'ait été servi, a défilé derrière moi une équipe cinq étoiles américaine : Miss Sarandon, Elle Fanning, Jessica Chastain et Julianne Moore. Je ne leur ai pas demandé ce qu'elles mangeaient pour être belles de même (je ne suis pas ce genre de mononcle là). Mais je constate qu'elles ne veillent pas trop tard.

On a finalement mangé et tout le monde était content. Robin Wright n'a pas eu l'air de se vexer que le délégué général Thierry Frémaux ajoute la particule Penn à son patronyme, Lily-Rose Depp ne semblait pas s'ennuyer de ses parents et l'actrice espagnole Rossy de Palma s'est offert un selfie-bisou avec le chanteur français Benjamin Biolay. Je me suis dit qu'elle l'avait peut-être confondu avec Benicio Del Toro...

Juste avant de sortir de la salle, j'ai failli trébucher sur la robe à traîne de la comédienne et princesse de Savoie Clotilde Courau. Mme B. ne me l'aurait jamais pardonné...