Le Français Benoît Jacquot présente samedi à la Berlinale Le Journal d'une femme de chambre avec Léa Seydoux, seul film hexagonal en compétition et adaptation d'un roman déjà plusieurs fois porté à l'écran, dont il veut montrer «la résonance moderne».

Le Journal d'une femme de chambre est l'un des 19 films en compétition pour l'Ours d'or, qui sera décerné le 14 février, dans un festival marqué par des grands rôles de femmes.

Tiré du roman éponyme d'Octave Mirbeau, paru en 1900, le film raconte l'histoire de Célestine (Léa Seydoux), domestique au tournant du XXe siècle. Nouvellement arrivée en province au service d'un couple, les Lanlaire, elle doit faire face à la dureté de sa patronne et aux avances du mari. Elle va être aussi peu à peu fascinée par l'énigmatique jardinier, interprété par Vincent Lindon.

Après Les Adieux à la reine, présenté à la Berlinale il y a trois ans, dans lequel Léa Seydoux interprétait la lectrice de Marie-Antoinette, Benoît Jacquot revient avec un nouveau film en costumes avec l'actrice de 29 ans, Palme d'or à Cannes en 2013 pour La Vie d'Adèle.

Il a choisi de s'attaquer cette fois à une oeuvre déjà portée à l'écran par Jean Renoir et Luis Bunuel. «Comme ces deux films sont aussi différents que possible l'un de l'autre, j'ai dit logiquement qu'un troisième serait tout aussi différent, et du coup qu'il n'y avait pas moins de raisons de le faire», a expliqué à l'AFP le réalisateur de Trois coeurs.

Le cinéaste, dont les personnages principaux sont souvent des femmes, a choisi de braquer cette fois sa caméra sur Léa Seydoux dans un rôle de fille courage livrée à elle-même, pour lequel Marion Cotillard avait été un temps pressentie.

«Je lui ai vraiment confié le film», dit Benoît Jacquot, pour qui Léa Seydoux «a une intelligence de son art de plus en plus raffinée».

Les personnages féminins, «j'y suis ramené assez régulièrement. Il faut croire que ça me concerne», plaisante-t-il. «Comme je ne suis pas une femme, les femmes nécessairement m'intéressent plus que les hommes».

«Ressentir physiquement»

Léa Seydoux, en tournage pour le prochain James Bond, est de ce fait absente à Berlin. Le visage souvent fermé, tout en énergie butée, elle incarne avec une forte présence l'héroïne au caractère bien trempé, insolente mais parfois vulnérable, succédant dans ce rôle à Jeanne Moreau dans le film de Luis Bunuel.

Comme dans La Fille Seule, dans lequel Viriginie Ledoyen allait de couloirs en escaliers, Benoît Jacquot la suit ici au plus près sans la quitter d'un pouce, dans un film ponctué de flash-back.

Montant et descendant les escaliers de la maison, se pressant dans les couloirs pour tenter de satisfaire une patronne toujours mécontente, Célestine apparaît acculée, confrontée à la cruauté sociale et la brutalité masculine, subissant les humiliations sans parvenir à échapper à sa condition.

«Je voulais que l'on essaie de ressentir le plus physiquement possible son trajet mental, son épreuve constante», souligne Benoît Jacquot, qui a choisi aussi de soigner la mise en scène pour mieux souligner la dureté de la situation.

«Souvent dans mes films, et celui-là peut-être particulièrement, plus c'est horrible, plus c'est violent, et plus il faut que ce soit beau à regarder», dit-il.

À travers cette histoire, le réalisateur de 68 ans dit aussi avoir voulu parler de questions très actuelles, comme la discrimination sociale et l'esclavage salarié.

«Ce qui m'intéressait immédiatement, c'est à travers l'itinéraire d'une jeune femme de chambre - et à cette époque là, c'était vraiment une sorte d'esclavagisme - de faire surgir des échos contemporains», explique Benoît Jacquot.

La violence dans les rapports sociaux, «même masquée par des couches de temps et d'événements, est tout aussi virulente» aujourd'hui, juge-t-il. «C'est ce qui donne sa résonance moderne au film».

Renoir, Buñuel: les précédentes adaptations du Journal d'une femme de chambre

Avant le film de Benoît Jacquot, en compétition à la Berlinale, le roman d'Octave Mirbeau Le Journal d'une femme de chambre, a déjà été adapté au cinéma de manière très différente par deux réalisateurs d'envergure, Jean Renoir et Luis Buñuel.

Après une première version cinématographique russe muette recensée en 1916 (par M. Martov), le livre de Mirbeau écrit en 1900 a d'abord été porté à l'écran par Jean Renoir en 1946, dans un film américain et en anglais, The Diary of a Chambermaid.

Dans ce long métrage, dont le scénario a été écrit d'après le roman de Mirbeau et une adaptation théâtrale datant de 1931, Paulette Goddard, ex-femme de Charlie Chaplin (actrice dans Les Temps modernes et Le Dictateu»), interprète l'héroïne Célestine, femme de chambre arriviste qui livre son regard sur la vie bourgeoise. Face à elle, Burgess Meredith (Illusions perdues d'Ernst Lubitsch) est le capitaine Mauger, l'un des personnages masculins du roman.

Quatrième film de l'exil américain de Jean Renoir dans les années 40, ce long métrage est une adaptation très libre, théâtrale et burlesque du roman, alternant tragique et farce, avec des gags tendant parfois vers le sketch. Le réalisateur La Règle du jeu adoucit l'aspect de critique sociale du roman, avec notamment une fin moins cynique.

L'adaptation réalisée par Luis Buñuel en 1964, écrite avec le scénariste Jean-Claude Carrière, met en scène une Célestine vénéneuse, mystérieuse et ambigüe, interprétée par Jeanne Moreau, dont c'est l'un des rôles célèbres. Face à elle, Michel Piccoli joue le rôle du maître de maison obsédé sexuel.

Prenant aussi ses libertés par rapport au roman, le film de Buñuel décale l'action de trente ans pour la placer dans les années 1930 - époque où le film de Buñuel L'Âge d'Or a été interdit par la censure, afin d'y placer des références à la politique de l'époque.

La relation de Célestine avec les hommes du roman, le jardinier Joseph ou le capitaine Mauger, est également modifiée. Le film se fait surtout psychanalytique: il s'attache à rentrer davantage dans la complexité des pulsions, de l'inconscient et des perversions des personnages que dans l'analyse des relations sociales.

Pour Benoît Jacquot, les films de Renoir et Buñuel sont «aussi différents que possible l'un de l'autre». «J'ai dit logiquement qu'un troisième serait tout aussi différent», a-t-il dit à l'AFP. «Mon film a un rapport avec le roman, certainement, mais peu avec les deux autres films».