Tourné de façon plus instinctive que les films précédents, Rebelle est pourtant le plus accompli des longs métrages de Kim Nguyen.

Il n’avait pas droit à l’erreur. Kim Nguyen le savait. On ne peut évoquer le drame des enfants soldats n’importe comment. Il fallait aussi faire abstraction de ses propres repères occidentaux pour mieux s’immiscer dans la psyché africaine. Rebelle est un drame poétique dans lequel Komona, une jeune fille âgée de 14 ans, raconte à son enfant à naître les deux dernières années de sa vie. Deux ans sous l’emprise de rebelles qui, un jour, sont entrés dans son village, ont tout saccagé, l’ont forcée à tuer ses propres parents, l’ont capturée et obligée à les suivre pour faire la guerre à leurs côtés.

«Cela peut sembler paradoxal, mais Rebelle est probablement mon film le moins préparé, déclare celui qui avait auparavant réalisé Le Marais, Truffe, et La cité. C’est-à-dire que je suis retourné au plus près de mes racines de photographe en tentant de capter le plus possible le moment présent. J’y suis allé à l’instinct. Comme un gamin de cinq ans. Avec l’attitude de celui qui se dit : Advienne que pourra!»

Un projet vieux de 10 ans

Depuis le jour où il a lu un article portant sur l’histoire d’un jeune garçon birman de neuf ans enrôlé de force dans une armée rebelle, Kim Nguyen a entretenu l’idée d’en faire un jour un sujet de film.

«C’était il y a 10 ans environ, rappelle le réalisateur. Vraiment, cette histoire m’a marqué. Surtout pour la notion de courage et de résilience qu’elle recelait. Il n’y avait rien de misérable dans ce récit, même si la réalité décrite dépassait tout ce qu’on peut imaginer. Le qualificatif enfant soldat n’existait même pas dans le dictionnaire. Le concept était trop inconcevable pour lui accoler une appellation. J’ai beaucoup lu, j’ai fait des recherches, je suis parti en repérage. On a pensé un temps tourner en Polynésie française ou au Brésil. Mais l’Afrique subsaharienne s’est vite imposée. J’avoue être agacé par tous ces films africains dont le héros est occidental. »

À cet égard, Rebelle occupe déjà une place plus singulière dans la cinématographie québécoise. Kim Nguyen propose en effet un film de fiction conçu et produit par des artisans d’ici, mais dont l’intrigue et les personnages n’ont strictement aucun lien avec le Québec.

«On ne devrait pas se sentir prisonnier de notre propre culture pour élaborer un propos, soutient-il. Les institutions ont d’ailleurs fait preuve d’une belle ouverture. Bien entendu, le processus fut long pour obtenir du financement, mais jamais ne m’a-t-on demandé d’intégrer un élément plus local. Cette histoire fait plus spécifiquement écho à une réalité qu’on retrouve dans des pays en guerre, mais elle est d’autant plus universelle qu’elle passe à travers le regard d’une enfant. Je n’ai pas voulu emprunter un point de vue objectif, au contraire. Je n’ai pas voulu inscrire cette histoire dans un contexte précis non plus. Le spectateur est dans la peau de Komona. »

Une enfant de Kinshasa

Kim Nguyen reconnaît que sans l’apport d’une enfant actrice capable de soutenir le film sur ses épaules, Rebelle aurait pu s’écrouler d’un coup. Parmi les 1000 jeunes filles rencontrées, Rachel Mwanza, une enfant de la rue de Kinshasa, s’est imposée d’emblée.

«Je n’ai eu aucun doute, explique le cinéaste. Rachel meuble l’espace avec une grâce naturelle. Elle aime la caméra. C’est aussi une battante. Elle a du caractère. Elle m’a d’ailleurs invité à boxer avec elle pour s’amuser et elle m’a complètement humilié ! On voyait bien qu’elle avait dû se servir de ses poings pour survivre dans les rues. Quand les badauds se faisaient trop pressants lors du tournage dans les rues de Kinshasa, elle imposait son autorité en allant se chercher une voix venue d’on ne sait trop où, qui n’invitait pas trop la discussion.»

À la gageure de faire appel à une inconnue sans aucune expérience pour incarner l’héroïne du film s’ajoutait aussi celle de tourner en extérieurs en République démocratique du Congo.

«Quand on n’y vit pas, Kinshasa est une ville très inspirante, fait remarquer Kim Nguyen. Il y a quelque chose de très avant-gardiste dans l’esthétique même de la ville. Là-bas, on recycle des matières modernes pour les intégrer dans la vie quotidienne. C’est plus fort qu’une installation d’art moderne. Cela dit, cette ville bat au rythme d’un chaos total permanent!

«Sur le plan du tournage même, la logistique est très compliquée, ajoute-t-il. Dans ma position de réalisateur, je suis évidemment très gâté, car je ne vois rien de tout ça. Mais dans les faits, il a fallu négocier avec sept gouvernements, importer des armes, etc. Moi qui avais d’abord l’intention de tourner en mode guérilla avec le moins d’intervenants possible, je me suis retrouvé à devoir me faire accompagner par des convois entiers de militaires pour me rendre aux différents lieux de tournage. Ça a quelque chose du trip de ti-cul!»

À la Berlinale

Rebelle fut lancé il y a deux mois au Festival de Berlin, où il fut sélectionné en compétition officielle. Rachel Mwanza, qui viendra à Montréal le 18 avril à l’occasion de la soirée de première, a obtenu le prix d’interprétation féminine de la Berlinale des mains de Jake Gyllenhaal.

«Elle n’avait aucune idée de qui il était ! , s’amuse le cinéaste. Pas plus qu’elle ne connaissait l’identité de la femme qui est venue lui parler après la cérémonie. Charlotte Gainsbourg, qui faisait partie du jury, tenait à venir lui dire un mot. Ce sont des souvenirs très forts. Je ne sais quel genre d’existence attend maintenant Rachel, car la vie à Kinshasa reste très compliquée. En revanche, je sais que ce qu’elle nous a offert dans ce film est exceptionnel. »

Rebelle prend l’affiche le 20 avril.