Ce matin, comme tous les lundis, peut-être lisez-vous ce billet d'un oeil distrait. C'est compréhensible; dans quelques minutes, l'enfer de la circulation (re) commence. Qu'est-ce que ce sera quand il commencera à neiger?

J'ai mis 40 minutes pour parcourir 17 km. Il est 8h05. Les accès au centre-ville sont (encore) bouchés. À ma droite, au moment de descendre la pente en direction de l'autoroute Décarie, deux policiers verbalisent un automobiliste, coupable d'avoir traversé la ligne pleine. Était-ce bien nécessaire? Sans doute plus que le jour - la semaine dernière, je crois? - où les forces de l'ordre contrôlaient en pleine heure de pointe le port de la ceinture de sécurité dans la bretelle d'accès menant à la 40. Sans commentaire.

 

Autoroute Décarie, 8h10. Dans la voie de gauche, un conducteur se cure le nez. Derrière lui, un livreur tient son volant à bout de bras, comme s'il essayait de le pousser. Inutile. Sa voiture est à l'arrêt, comme les autres. 8h32 et un énième bouchon. «Autoroute Ville-Marie, une voie fermée», annonce le panneau à diodes suspendu à une passerelle. Traduction: «Je suis en retard.» Même à pied, ça irait plus vite. Au loin, la sirène d'une ambulance fait craindre le pire. «Il y a beaucoup de difficultés en direction de Montréal», confirme Yves Désautels, chroniqueur à la circulation de la première chaîne de Radio-Canada, qui ne manque pas de souhaiter «courage et patience» à ses auditeurs motorisés. Ces amas de tôles immobiles contiennent surtout des âmes solitaires. Des murs antibruit, parfois morcelés, souvent délabrés, forment leur horizon immédiat. Un jour ordinaire dans la vie d'un (pauvre) automobiliste obligé de transiter par le centre-ville montréalais.

Ce soir, ce ne sera pas mieux.

Non, il n'y a plus d'automobilistes heureux. En tout cas, pas ici, pas à cette heure-là. Avant, conduire était perçu comme un plaisir. C'est devenu une contrainte.

Est-ce la fin du tout-voiture dans les grandes agglomérations du monde? Pas dans un futur prochain, même si certaines administrations cherchent des méthodes pour accélérer sa chute. Estimant, avec raison, que le morceau de bitume est une denrée rare, donc coûteuse, certaines villes instaurent des péages et vont même parfois jusqu'à moduler cette «taxe» en fonction des heures creuses ou d'affluence. On réduit aussi l'espace sur la chaussée en créant des voies réservées pour les autobus, en élargissant les trottoirs, en traçant des pistes cyclables, selon le principe qu'un tuyau étroit laisse écouler moins d'eau.

L'ère des villes dessinées pour et par l'automobile s'achève. Hier, elle était garante de prospérité, de vitesse, de liberté, d'accomplissement individuel, de bonheur familial. Elle a envahi l'espace public, chassé les tramways, grignoté les trottoirs. Aujourd'hui, la voilà devenue pestiférée, pis, un fardeau synonyme de bouchons, d'accidents, d'étalement urbain, d'égoïsme. Et surtout de pollution, n'en déplaise aux constructeurs, la voiture propre n'existant pas encore. Elle rejette toujours particules, benzène, dioxyde d'azote et gaz à effet de serre.

Va-t-on un jour en finir avec cet affrontement stérile entre le «tout-voiture» et le «sans-voiture» ? La solution n'est pas de l'éradiquer mais d'en faire un complément aux modes de déplacement réellement adaptés comme les vélos, le métro, les bus. Avant, on parlait du métro comme de la deuxième voiture. C'est l'inverse qui doit se passer. La voiture doit être le deuxième métro.

Va-t-on un jour reconnaître que les mesures contraignantes des administrations des grandes agglomérations ont un effet pervers? Quand on réduit le trafic dans le centre-ville, il se reporte sur les pourtours ou, pire encore, favorise l'étalement urbain. Les gens et les commerces fuient le centre, et la rocade extérieure explose. Bref, on pellette dans la ville d'à côté.

Une ville sans voitures, c'est une ville morte. Réduire la mobilité a un coût. Quand on ne peut plus se déplacer, une partie de l'activité déménage assez spontanément en banlieue.

L'automobiliste ne demande qu'à abandonner son véhicule. L'ennui est que chacun d'entre nous a une bonne raison de ne pas le faire. Et comme bien d'autres gens sur la planète, les Québécois sont croyants, mais pas pratiquants. Tout le monde est d'accord pour que ça change, à la condition qu'il y ait des solutions de rechange intelligentes. Le temps presse. L'échangeur Turcot ne demande qu'à s'écrouler. Et la voiture? Elle attend que nous l'utilisions différemment.