En 2005, le Congrès américain a rejeté de justesse une loi qui aurait permis aux pauvres de payer moins cher sur certains types de routes à péage.

Le débat a attiré l'attention sur un aspect controversé des péages et des routes administrées par le secteur privé: la possibilité pour les riches d'éviter les bouchons de circulation en déboursant des sommes prohibitives pour les ménages plus humbles.

L'impact est bien réel. Selon une analyse d'un économiste de l'Université du Minnesota, Herbert Mohring, mettre des péages sur toutes les voies rapides d'une grande ville double les coûts de transport des plus démunis (le quart de la population qui gagne le moins d'argent). En comparaison, pour le quart le plus riche de la population, les coûts n'augmentent que de 24%.

Cela reflète la valeur du temps pour chaque groupe. «Je sais que ça peut choquer, mais le temps des riches vaut davantage que celui des pauvres, dit M. Mohring en entrevue téléphonique. C'est pour cette raison qu'ils sont plus susceptibles d'avoir des domestiques: quand le salaire horaire est inférieur à celui d'une nounou, il est un peu absurde d'en engager une, mais s'il est 10 fois supérieur, c'est une autre histoire.

Quand il n'y a pas de péages pour mettre un prix sur la congestion et la réduire, les riches perdent cinq fois plus d'argent par trajet en voiture que les pauvres.

Différentes études ont montré que la valeur que les gens attachent au temps perdu en déplacements augmente graduellement avec le revenu, jusqu'à un plafond correspondant approximativement à la moitié du salaire horaire. Le plafond est atteint à peu près au salaire médian.»

Les modèles traditionnels de circulation ignorent généralement l'impact des ressources financières sur les décisions des automobilistes, déplore M. Mohring. «Quand on met des péages dans les simulations, la prémisse de base est que les automobilistes vont chercher à minimiser la durée de leurs déplacements. Mais il faut tenir compte des revenus. Les personnes moins fortunées vont nécessairement chercher à éviter les péages, parfois au coût d'un trajet plus long sur des voies de service.»

La solution idéale n'est pas nécessairement celle qu'avait envisagée le Congrès américain. «Je pense qu'il vaudrait mieux donner des coupons aux automobilistes à faible revenu. Ils pourraient choisir d'utiliser les coupons pour réduire les coûts des péages, ou alors les vendre pour en tirer de l'argent. Évidemment, on peut aussi penser que la distribution du revenu est déjà assurée par l'impôt progressif, et donc que les coûts administratifs devraient être égaux pour tout le monde. Le transport en commun, par exemple, coûte aussi cher pour tous les usagers.»

Les coûts administratifs d'un programme de coupons seraient négligeables, selon M. Mohring. «J'ai un compteur électronique dans ma voiture pour me permettre d'utiliser les voies rapides des péages. Ça me coûte 1$ par mois. C'est abordable pour tout le monde.»

L'étude de M. Mohring a été publiée dans Street Smart, un recueil d'études compilé par un centre de recherches californien de droite, Street Smart. Les autres articles discutent en long et en large de la privatisation des routes. M. Mohring se sent-il mal à l'aise d'être le seul à s'intéresser aux iniquités sociales? «Je n'ai eu aucune pression pour changer mes propos, répond-il. L'important, c'est que mon analyse soit publiée.»