Joints en Croatie, les Montréalais Colin Stetson et Sarah Neufeld expliquent la démarche de Never Were The Way She Was, album dont ils peaufinent les pièces inédites sur les scènes du monde.

Bien au-delà des mélomanes nourris aux musiques de pointe, l'intérêt que suscitent ces musiciens est plus qu'évident, vu leur trajectoire connue de l'entière nébuleuse hipster.

Outre ses participations aux Bell Orchestre, The Luyas et autres expériences probantes de la mouvance indie de Montréal, la violoniste canadienne joue avec Arcade Fire depuis les débuts, sans faire partie de son noyau créatif. Sarah Neufeld a aussi lancé un album solo, Hero Brother, et un maxi, Black Ground. Avec Colin Stetson, elle forme un couple dans la création comme dans l'intimité.

Saxophoniste et clarinettiste d'origine américaine, le partenaire de Sarah a maintes fois tourné avec Arcade Fire, mais encore l'a-t-on entendu aux côtés du folkster visionnaire Bon Iver ou de la grande performeuse Laurie Anderson. Fondée entre autres sur une technique de respiration circulaire, une recherche microtonale et une prise de son hors du commun, c'est-à-dire une série de microphones contact disposés sur ses instruments et son corps, l'approche de Colin Stetson épate la galerie. Sept albums solos en témoignent, dont la trilogie New History Warfare.

Un miracle de logistique

L'an dernier, au Festival international de musique actuelle de Victoriaville, on en avait observé les prémices. Jusqu'à la sortie imminente de ce premier album, force est d'observer que ces entrelacements instrumentaux ont acquis une maturité certaine.

Sarah Neufeld: «Depuis plusieurs années, Colin et moi collaborons artistiquement de différentes façons. L'idée de constituer un duo est venue petit à petit, puis vint le bon moment. Nous avons composé la première phase pendant une pause d'Arcade Fire. La deuxième vint une semaine après la fin de la tournée Reflektor. Nous avons ensuite enregistré. Un miracle de logistique!»

Colin Stetson: «Lorsque j'ai fini de tourner pour ma trilogie, j'ai pu me consacrer à ce projet en tandem. Question de son et d'approche, j'ai réalisé que cela pouvait être compatible. Nous avons d'abord passé en revue toutes les facettes de nos musiques respectives pour finalement trouver une belle singularité dans leur combinaison.»

Ainsi, le langage du tandem Neufeld-Stetson se veut une authentique fusion de personnalités musicales, une plante exotique qui ne cesse de croître.

Sarah: «J'ai mis des années à développer mon style et mon langage. Au fil du temps, c'est devenu de plus en plus naturel de travailler avec Colin. J'ai acquis le sentiment que nous pouvions tous les deux intégrer nos approches. Nos corps et nos voix sont aussi impliqués; ces musiques requièrent un jeu très physique.»

Colin: «Nous exploitons le violon et la voix de Sarah, et les différentes possibilités qu'offrent mes instruments - saxophone ténor, saxophone basse, clarinette contrebasse, dans le cas de cet album.»

La part de l'improvisation

Bien qu'elle ne soit pas prééminente lorsque les deux musiciens interprètent leurs oeuvres, l'improvisation se trouve au centre du processus créatif.

Sarah: «Une composition peut venir d'un motif que j'ai d'abord exploré seule en improvisant, après quoi nous reprenons ce motif et nous l'acheminons vers une composition achevée.»

Colin: «Lorsqu'on est seul, improviser de manière substantielle et en extirper des oeuvres structurées représente un long processus. À deux, la conversation permet une accélération de ce processus. L'improvisation est une recherche organique, au coeur de la plupart de nos musiques. Côté exécution, c'est autre chose; on doit plutôt parler d'expression que d'improvisation. Cela reste très structuré. Dans d'autres contextes, cependant, je fais de la musique improvisée.»

Les huit pièces de Never Were The Way She Was peuvent être perçues comme de longues courbes sinusoïdales qui s'élèvent au-dessus du fil conducteur ou qui se gonflent au-dessous.

Sarah: «Chaque pièce comporte une structure et une dynamique spécifiques. Nous voulons certaines pièces très minimales, d'autres très intenses, d'autres ont pour objet de soulever l'étonnement. Je peux avoir en tête une progression d'accords, un motif joué rapidement au violon, une chanson punk rock jouée à fond la caisse. Mais le résultat peut s'avérer tout autre.»

Colin: «Au bout du compte, nous sommes intéressés à raconter une histoire. Des thèmes et images en génèrent les structures et les arrangements. La plupart de nos musiques, d'ailleurs, ont des liens formels avec le folklore et la musique populaire. Nous cherchons une trame narrative qui se déploie dans l'abstraction et qui se concrétise à travers notre jeu physique.»

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En concert les 10 et 11 juin à la Sala Rossa.

EXPÉRIMENTAL. Colin Stetson et Sarah Neufeld. Never Were The Way She Was. Constellation. En magasin.