Imaginez devoir changer de vie à seulement 22 ans, parce que la tête, le cœur et le corps ne sont plus sur le même fuseau horaire. C’est ce qui est arrivé à Marilou qui, après avoir amorcé au sortir de l’enfance une carrière de chanteuse, n’a plus chanté en public pendant 10 ans. La femme derrière 3 fois par jour a mis tout son cœur dans Traits d’union, l’album de sa réconciliation avec la musique.

Le mot « empire » est sans doute exagéré. Il reste que de mettre le pied dans l’univers de 3 fois par jour donne une idée de l’envergure de ce que Marilou a bâti : son entreprise occupe entre autres un imposant bâtiment de deux étages dans le parc industriel de Longueuil, où se trouvent notamment un espace studio qui ressemble à une cuisine et un immense entrepôt où transitent des boîtes de livres de recettes et d’articles de maison comme des ustensiles, de la vaisselle et des bougies.

Ces jours-ci, sur une table, il y a aussi des vinyles. Des exemplaires de Traits d’union, le plus récent disque de Marilou qui – c’est une sympathique coquetterie – sera commercialisé en quatre pochettes différentes. La jeune chanteuse et entrepreneure de 33 ans vogue comme un poisson dans l’eau dans cet environnement, passant le plus naturellement du monde d’une discussion sur la musique à la révision d’un document à l’ordinateur, puis à une séance photo.

« Je suis tellement contente d’avoir mon day job ! » dira-t-elle une fois assise pour une entrevue en bonne et due forme.

Je gagne ma vie avec 3 fois par jour. C’est mon travail et j’aime ça. Je fais de la musique quand j’ai envie, quand j’ai du temps, et ça m’apporte beaucoup de bonheur.

Marilou

La dernière phrase peut sembler banale dans la bouche d’une chanteuse. Or, c’est un changement majeur dans la vie de Marilou.

Chanter à se rendre malade

Il y a 20 ans, Marilou a été présentée comme une nouvelle prodige adolescente. Découverte par Guy Cloutier, qui lui a fait faire son premier disque, elle a été reprise en main par nul autre que René Angélil qui l’a emmenée là où il avait déjà « placé » Céline et Garou : chez Sony. Un monde de possibilités s’ouvrait alors à la jeune fille, qui n’avait que 12 ans à ses débuts.

PHOTO ANDRÉ TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Marilou en mars 2005

Le plan, on le devine facilement, était d’en faire une nouvelle Céline. Ou quelque chose comme ça. Sauf que ce n’était pas le plan de Marilou elle-même. « Je ne voulais pas faire du chant mon métier et on m’a appris que la musique, c’était le show-business, dit-elle. On a voulu faire de moi une chanteuse à voix, ce que je ne suis pas et que je n’ai jamais voulu être. »

La jeune femme ne blâme personne, disant que les gens ont fait preuve de bienveillance envers elle. Sauf que derrière les sourires de façade, elle souffrait. De stress, bien sûr, mais pas seulement. « J’ai essayé de compenser jusqu’à me rendre malade. L’anorexie a été une conséquence [de tout ça], dit-elle, et ce n’était pas léger, mon affaire. »

Marilou en parle librement parce qu’elle s’en est sortie et parce qu’après avoir complètement cessé de faire de la musique – et même d’en écouter pendant cinq ans ! –, elle a retrouvé le plaisir de chanter. De jouer de la guitare, aussi. Et même d’écrire : elle signe, pour la première fois, tous les textes et toutes les musiques d’un album à elle. « J’ai vraiment l’impression que c’est mon premier album », dit-elle, avec satisfaction.

À sa manière

Dans une autre bouche, cette phrase sonnerait comme le pire des clichés. Dans celle de Marilou, elle a quelque chose de touchant. Elle souligne bien plus qu’une renaissance, elle dit combien la jeune femme se sent enfin en accord avec elle-même sur le plan musical.

Traits d’union est pop, mais pas dans le sens de flamboyant, plutôt dans le sens d’accessible et de simple. Marilou s’y raconte sans beaucoup de détours sur des airs proches du folk aux arrangements économes et aux mélodies accrocheuses.

Elle évoque ses difficultés des dernières années (séparations, défis de se réinventer en solo comme mère, deuil, etc.) sans apitoiement et sous des angles parfois étonnants.

Dans Le cœur des pommes, elle évoque sans le nommer un grand-papa disparu, qui mangeait toujours ses cœurs de pomme. L’enfant qu’elle était s’est imaginé que s’il faisait comme ça lorsqu’elle était sur ses genoux, c’est qu’il ne voulait pas s’en détacher, que c’était une façon pour cet homme de peu de mots de lui dire qu’il l’aimait sans devoir le dire. Rose pâle évoque les difficultés de la maternité, qui peuvent commencer avant la naissance, alors que Rosie parle des rires d’enfants qui déjouent les deuils.

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« Je m’expose beaucoup sur ce disque-là », reconnaît la chanteuse. Et c’est la seule chose qu’elle craint : de se faire dire que ces chansons dans lesquelles elle a mis toute sa sensibilité et même des reflets de miroir peu flatteurs n’en valent pas la peine. « Je vais faire face à la critique et j’ai des fragilités face à ça, avoue-t-elle. Mon album, ce n’est pas une recette de poulet au beurre. »

Marilou n’a plus de boule dans la gorge quand elle chante dans sa chambre, là où elle a enregistré son disque. « J’espère ne plus l’avoir un jour, si je refais de la scène », dit-elle. Monter sur les planches, ce n’est pas dans ses plans à court terme. Ni une obligation. Elle ne chante plus pour faire carrière. Savourer sa liberté retrouvée et assumée lui suffit amplement.

Traits d’union

Folk/Pop

Traits d’union

Marilou

Marilou/Audiogram

Cinq questions en rafale

PHOTO FOURNIE PAR MARILOU

Lies différentes pochettes possibles de son nouvel album, Traits d’union

Ce qui t’a ramenée à la musique ?

« Je suis retombée en amour avec moi-même et à partir du moment où je me suis validée comme personne, j’ai eu envie de savoir ce que j’avais à dire musicalement. En étant curieuse de ce que j’avais à offrir, je suis redevenue curieuse de ce que les autres font. »

Une musique qui te nourrit ?

« Je suis du genre à écouter un album à fond et à passer à autre chose par la suite. » En ce moment, elle écoute le nouveau disque de Charlotte Cardin.

Une voix qui te fait du bien ?

« La voix de Garou me réconforte. Laurence Jalbert a l’une des voix québécoises qui me touchent le plus. Elle est cassée et puissante. »

Que chantes-tu à tes enfants ?

« Ce que j’écoute. Mes filles connaissent par cœur les chansons de Taylor Swift. Elles ne comprennent pas les paroles, mais elles les chantent. Elles connaissent aussi les chansons de Charlotte Cardin par cœur. »

Une chanson qui te rappelle ton enfance ?

« You’re so Vain, de Carly Simon, me fait penser à ma mère, heureuse. Mon père écoutait beaucoup America. A Horse With No Name et Sister Golden Hair me font penser à lui. »