Entre musiques d’élévation et industriel européen, Ifriqiyya Électrique veut prendre possession de votre corps…

Les vertus de la transe musicale ne sont plus à démontrer. Mais certains artistes poussent cette démarche plus loin que d’autres. C’est le cas d’Ifriqiyya Électrique, qui se produira jeudi dans le cadre du Festival Nuits d’Afrique.

Cette formation cosmopolite, fondée par une bassiste italienne (Gianna Greco) et un guitariste français (François Cambuzat), explore les rituels de possession comme moyen de se purifier et de s’élever.

« Le démon te possède pour toute la vie et il restera avec toi tout le temps, mais de temps en temps, il demande ton corps », explique François Cambuzat, joint à Québec quelques heures avant un spectacle de la formation au Festival d’été.

Dans le désert, quand une personne va mal, elle appelle le chef de la communauté et il contacte tous ceux qui sont libres pour assister à une transe et après une séance, c’est comme une soirée de musique techno, tu te réveilles et tout va mieux. C’est exactement la même chose, sauf que nous, on achète un billet, eux, c’est gratuit [rires] !

François Cambuzat, guitariste et cofondateur d’Ifriqiyya Électrique

Avec l’ajout de deux chanteuses tunisiennes, Nassima Moucheni et Syna Awel, le quatuor offre un électrochoc des cultures inspiré directement des rituels de transe des pays du Maghreb, de la Chine ou du Kazakhstan. Le groupe crée sa musique dans l’urgence, aux frontières cathartiques du hardcore. Il adopte des sonorités rudes et perturbatrices qui contribuent à une atmosphère d’abordage permanent, avec en prime une forte charge industrielle, qui enfonce le clou à coups de tonnerre.

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« Rammstein ? Absolument, opine Cambuzat, ravi de parler techno industriel allemand. Contrairement à ce que pensent plusieurs, poursuit-il, les musiques du monde sont souvent d’une violence incroyable. Quand tu vas dans un rituel de banga au fin fond du désert ou dans un dîwân en Algérie ou chez les gnawa au Maroc, tu réalises qu’un groupe de métal suédois comme Meshuggah, ce sont des enfants de chœur. »

Gianna et moi, on a joué avec des genoux cassés, des ligaments croisés arrachés et des rages de dents, et dès qu’on montait sur scène, tout passait. On s’est dit : il y a quand même quelque chose là-dedans ! C’est thérapeutique et ça nous fait du bien.

François Cambuzat, guitariste et cofondateur d’Ifriqiyya Électrique

Plus que la musique

Né au Viêtnam, d’un père marocain et d’une mère belge, Cambuzat a étudié la musique orientale au Conservatoire de Tunis (l’Institut de musique supérieure), avant de découvrir cette passion pour l’adorcisme et la musique d’élévation.

« Un jour, nous étions en tournée en Mongolie et un ami du Kazakhstan intérieur nous a parlé des chamanes Xingtian. Moi, je ne suis pas du tout baba cool, hippie, yin-yang, je ne bois pas et je suis allergique au THC. Mais ça m’a tout de suite interpellé », raconte-t-il.

PHOTO FOURNIE PAR NUITS D’AFRIQUE

Ifriqiyya Électrique

Ainsi est né le projet d’Ifriqiyya Électrique, qui compte jusqu’ici trois albums, dont un en collaboration avec des musiciens soufis.

Cambuzat n’hésite pas à dresser des parallèles entre les rituels d’élévation thérapeutiques et certaines musiques occidentales, comme la techno, le punk et le dub. « Parce que c’est beaucoup de stop and go, d’un seul coup, toutes les percussions s’arrêtent et les voix restent, il y a une technique qui est très moderne », explique Cambuzat.

La formation utilise aussi beaucoup de sons en boucle et de technologie, éléments essentiels de sa démarche. Tout comme l’improvisation, qui représente selon lui « 60 % » de leur création.

Mais l’expérience d’Ifriqiyya Électrique ne s’arrête pas à la musique. Pour Cambuzat et Greco, l’exploration est aussi anthropologique. Le tandem privilégie les rencontres humaines et la découverte de « l’autre » pour mieux assimiler les rituels d’élévation.

« On est des gens curieux et on aime savoir comment font les autres, explique le musicien. Ce qu’on adore, c’est faire les rituels dans le désert. Ce qui est intéressant, c’est d’aller soigner les gens. Quand on joue chez eux, ils comprennent tout à fait, c’est le même langage, sauf bien sûr les sonorités modernes que nous incorporons. Au début, ils sont surpris, mais au bout d’une demi-heure, ils comprennent qu’on est dedans. On ne touche à rien, on arrange, c’est tout. »

Au fil du temps, leur projet est même devenu documentaire.

« Nous faisons des films d’ethnomusicologie, toujours sur les rituels de possession, conclut Cambuzat. Avec les Ouïghours en Chine, avant, on tournait énormément là-bas et depuis qu’on a fait ce film, nous sommes interdits de séjour, il y a six ou sept ans, on faisait des tournées de 40 concerts en 40 jours, regrette-t-il. Notre site internet a été piraté, les adresses détruites… »

Ifriqiyya Électrique, le 14 juillet au Ministère, 4521, boul. Saint-Laurent à Montréal.

Nuits d’Afrique, du 12 au 24 juillet.

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