Quand on a tout fait, jonglé avec 12 balles ou 24 anneaux, où peut-on aller? La troupe Gandini Juggling a opté pour un mélange de minimalisme, d'humour absurde et de danse contemporaine en s'inspirant de la grande chorégraphe Pina Bausch.

Le résultat, qu'on a vu hier soir au théâtre Outremont dans le cadre du festival Montréal complètement cirque, est un spectacle décalé où neuf virtuoses jonglent avec des pommes... et passent la soirée à en faire le moins possible côté spectaculaire.

Soyez avertis, ce n'est pas dans Smashed que vous verrez des exploits qui vous feront vous exclamer. Les sept hommes et deux femmes jonglent avec une, deux, trois pommes, rarement plus, et la mise en scène est davantage basée sur la chorégraphie réglée au millimètre près que sur les morceaux de bravoure.

La force et la cohésion du groupe priment les solos époustouflants. Ils jonglent en marchant, en s'entrecroisant, en plaçant leur bras à la place de celui d'un autre, en se donnant des claques ou des coups sur la tête, en se tournant autour ou en se faisant tirer par-derrière. Le tout effectué avec le célèbre flegme britannique.

Sauf que les jongleurs qui restent constamment sur leur quant-à-soi sont aussi attirés comme des aimants par le fruit défendu, qui excite parfois leurs bas instincts. On les sent toujours en train de réprimer leurs désirs, sur le point de perdre le contrôle ou de faire du mal - les relations entre hommes et femmes sont tordues, troubles, marquées par des rapports de domination, au point de susciter le malaise.

Ainsi, d'une scène à l'autre, les chorégraphies se complexifient et les pommes restent toujours le pôle d'attraction. Et les stoïques jongleurs en perdent par moments le contrôle, lâchent un rire fou, ont une convulsion.

Après un moment plus émotif et véritablement bouleversant, où, sur un air d'opéra, les neuf interprètes sont totalement imprégnés des pas et gestes tragiques de Kontakhof, un des ballets les plus connus de Pina Bausch, vient l'explosion.

Explosion de joie d'abord, puis défoulement collectif, avec la violence, les pommes qu'on lance, les insultes qu'on jette, les services à thé qu'on casse: l'énergie déployée tout à coup est si surprenante qu'on en reste bouche bée. Et quand enfin les jongleurs peuvent croquer la pomme, c'est une espèce de soulagement que l'on ressent pour eux - même si certains s'en mettent trop dans la bouche et que ça déborde.

Une fin trash, oui, à l'humour noir. La bande de Sean Gandini nous a amenés exactement où elle voulait: dans l'excès et la folie. Mais si le cirque a rarement réussi à se rapprocher de la danse contemporaine avec une telle rigueur, reste que le spectacle devrait se tenir seul, sans les références, pour qu'on l'apprécie vraiment.

Mais on passe un bon moment avec ces Britanniques qui amènent le cirque un peu plus loin, du côté du malaise assumé et du mélange des genres intellectualisé. Une rencontre intéressante.

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Smashed, au théâtre Outremont jusqu'au 8 juillet.