«Ça fait un quart de siècle que je suis ici. J'adore le Québec, j'adore Montréal, mais je m'y sens aujourd'hui comme un métèque. Je le dis à travers le thème du festival, qui exprime le statut précaire de ces gens coincés entre un contexte qu'ils ont fui et le monde d'ici qui peut les rejeter en les associant à tort à ce contexte», déplore Joseph Nakhlé, fondateur et directeur artistique du FMA.
Inutile de souligner ici les effets pervers de polarisation, de crispation, à tout le moins de confusion, que peuvent générer chez nous les crises actuelles du monde arabe. Un festival de culture arabe tenu à Montréal peut-il en subir les conséquences? Joseph Nakhlé fournit cet exemple: «Prévu au spectacle de clôture, un chanteur ne pourra venir. Nous avons eu beaucoup de refus de visas de la part du gouvernement canadien; quelques groupes ont été refusés...»
Ce handicap conjoncturel s'inscrit dans cette ère d'austérité où le financement public de la culture écope: «Nous travaillons avec un budget d'environ 850 000$. En 2006, ce budget atteignait 1,35 million.»
Pour toutes ces raisons, le FMA doit gérer sa décroissance et peine à occuper l'espace médiatique qu'il estime légitimement pouvoir investir. Alors? La vie continue.
«Nous continuons à résister à un mouvement très puissant. Sinon, notre spécialité demeure la musique arabe et ses ramifications dans les autres cultures mondiales», affirme Joseph Nakhlé.
Fidèle au public
Bon gré mal gré, le 15e Festival du monde arabe de Montréal présentera plusieurs concerts et spectacles de grande qualité. Du vendredi 24 octobre au samedi 8 novembre, un public composé des communautés maghrébines, moyen-orientales et québécoises de toutes origines investira différents espaces: salles de la Place des Arts, Rialto, salle Bourgie, National, Quai des brumes, L'Escalier, etc.
Le directeur artistique du FMA ne prévoit pas de grands bouleversements dans la facture de cet événement très musical mais qui comprend aussi des volets danse, cinéma, théâtre, humour, salon de la culture, etc.
«Nous tenons à rester fidèles au public avec lequel nous avons construit ce festival au fil des ans. Notre programmation musicale reste donc à dominante classique: le ney virtuose de Rachid Rouable, la grande voix d'Aïcha Redouane, la musique voyageuse des frères Tabassian, l'arrangeuse et compositrice Katia Makdissi-Warren (OktoEcho), l'ensemble vocal Aloès, etc. Mais nous mettons aussi l'accent sur certaines manifestations de la rue algérienne - le raï de Kader Japoni ou encore la nouvelle pop maghrébine de Freeklane.»
NOS SUGGESTIONS
Freeklane, le 24 octobre, 20h, Le National
Lauréat du prix de la «révélation de l'année» décerné par la radio algérienne en 2011, ce groupe préconise un mélange de raï, gnawa, chaâbi, rythmes africains, reggae et pop-rock à l'occidentale.
Représentatif de la jeunesse maghrébine d'aujourd'hui, Freeklane est traversé par les cultures arabe, berbère, ouest-africaine, francophone, occidentale.
On ne s'étonnera pas que ce groupe doive son nom à la conjonction des termes «free» (libre en anglais) et «iklane», qui signifie esclave en berbère.
Aïcha Redouane, le 1er novembre, 20h, 5e salle de la Place des Arts
On la considère comme une «diva et vestale du chant arabe».
La Marocaine Aïcha Redouane maîtrise en profondeur l'école classique du maqam, cet ensemble de phrases musicales complexes et raffinées, trajectoires mélodiques à l'intérieur desquelles l'interprète peut improviser et ainsi nous faire accéder au tarab, l'extase musicale.
Rachid Zeroual et OktoEcho, le 30 octobre, 5e salle de la Place des Arts
Joseph Nakhlé ne tarit pas d'éloges à l'endroit du Marocain Rachid Zeroual.
«C'est mon grand coup de coeur. Ce virtuose du ney (flûte arabe) et du kawala (flûte indienne) peut jouer du jazz avec des orchestres occidentaux ou orientaux - cette fois-ci, avec l'ensemble montréalais OktoEcho. [...]
«Même s'il n'a pas encore une grande notoriété, je ne lui vois aucun équivalent.»
Ayrad, le 28 octobre, 20h, Cabaret du Mile End
Le son montréalais d'Ayrad hybride non seulement les styles berbère, arabo-andalou et juif marocain, mais aussi le rigodon québécois, le folk-rock nord-américain, les rythmes latins ou reggae.
Dans le cadre de ce concert présenté au FMA, Hamza Abouabdelmajid (guitare, voix principale), Annick Beauvais (hautbois, voix), Kattam Laraki-Côté (percussions, voix), Anit Ghosh (violon, voix), Gabriel Brochu-Lajoie (basse, contrebasse, voix) et Bertil Schulrabe (batterie) lanceront leur premier album.
Kader Japoni, le 7 novembre, 20h, Rialto
Pour la première fois en Amérique du Nord, s'amène Kader Haibraoui, dit Japoni ou Japonais, un nom qu'on lui a collé à cause de ses traits asiatiques.
On dit qu'il est LA star du raï algérien, qu'il déchaîne les foules maghrébines comme l'ont fait précédemment Cheikha Rimitti, Cheb Hasni et autres Cheba Zahouania.
On aura saisi que cette première escale est très attendue des Algériens de Montréal, auxquels se joindront tous les fans de raï brut, bien cru et bien rugueux.
Tapis volant, d'Alep à Bagdad, le 8 novembre, 20h, Théâtre Maisonneuve
Exilée aux Pays-Bas pour des raisons qu'on devine, la chanteuse Irakienne Farida Mohammad Ali a déjà triomphé à Montréal. On se souvient d'un concert mémorable au Théâtre Maisonneuve.
Malheureusement, elle ne se produira pas avec son collègue syrien Hamam Khairy (exilé à Paris) à qui on a refusé un visa.
Heureusement, toutefois, elle sera accompagnée par l'ensemble montréalais OktoEcho et le groupe du trompettiste arabo-américain Amir El Saffar, qui chante également et joue le santour.