En lisant les commentaires qui ont été écrits sur la réaction des artistes contre les coupes du gouvernement Harper en culture, un seul a retenu mon attention. Je ne me souviens plus de l'auteur, mais il disait en gros ceci: « Je n'ai pas envie qu'une partie de mes impôts finance quelqu'un qui a une vie plus intéressante que la mienne. «

Sérieux, je ne sais quoi répliquer devant tant de franchise. C'est un artiste, ce que je ne suis pas, qui devrait répondre. On a beau râler, l'idée romantique de l'artiste libre, sans contrainte, qui ne connaît pas la lente dépossession de soi par un travail abrutissant, est un mythe tenace. Aussi porteur d'espoir pour ceux qui chérissent le fantasme d'avoir une telle vie qu'il sert aux détracteurs des artistes, ces sangsues qui se payent du bon temps à la sueur des travailleurs.

 

Leur vie est plus intéressante que la nôtre...

Si on leur apprend, comme on l'a appris cette semaine, que Lucy Maud Montgomery, auteure d'Anne... la maison aux pignons verts, s'est suicidée, cela peut-il changer quoi que soit à leur perception? Nah...

Préférons-nous nos artistes dans la dèche ou dans le confort? Quelle importance accordons-nous à leurs réflexions selon qu'elles soient nées de la nécessité ou de l'abondance? L'écrivain a-t-il plus de profondeur lorsqu'il touche les bas-fonds ou lorsqu'il a la possibilité de s'élever au-dessus des contraintes du commun? Ça tombe mal comme question: la pire crise économique depuis 1929 nous pend au bout du nez.

Mes amis et moi, de temps à autre, jouons à un jeu cruel, qui consiste à penser contre soi. Juste pour voir ce que cela nous fait.

«Dans le fond, il est temps de faire le ménage dans cette bande de quêteux, et de les ramener à la loi fondamentale de l'espèce: la survie.

- Au bout du compte, les seuls qui continueront à créer sont ceux qui y croient vraiment. Cela nous épargnera un tas de mauvais bouquins.

- Cela ne peut leur faire que du bien d'en arracher: ils vont finir par comprendre que l'art, comme la guerre, exige un sacrifice.

- Veux-tu ben me dire à quoi servent les chaises à Goulet si on ne peut pas s'asseoir dessus?

- Vas te faire couper les cheveux, le pouilleux!»

Qu'est-ce que ça fait? C'est simple: ça fait du bien. L'exercice est très délassant pour l'esprit. Action, réaction. Problème, solution. Nous prenons congé de la complexité et des « oui, mais... « propres à la go-gauche. Quitte à entendre le mot culture, sortons notre revolver.

J'en oublie ceux qui ont sombré dans l'abîme du rêve.

«La bohème, ce désespoir couleur café-crème», écrivait Louis-Ferdinand Céline, alias Docteur Destouches, qui retapait ses malades tout en écrivant l'une des grandes oeuvres de son siècle. Bukowski, qui l'admirait, se farcissait des boulots pénibles et se vengeait le soir en tapant sur sa machine à écrire. «Garde le désespoir embouteillé, écrit-il à Jim Roman en 1965. Nous finirons tous sous une poignée de fleurs séchées.» Sur sa tombe, cette mise en garde: Don't Try...

«La bohème n'est pas un chemin mais un cul-de-sac», écrivait Henry Murger, qui lui a donné ses lettres de noblesse, avant de mourir du purpura dans d'atroces souffrances. «Vivez d'expédients», conseillait Cioran, qui mangeait dans les cafétérias des universités.

Combien d'écrivains le sont devenus pour conjurer la fatalité? Ne faisons-nous pas de même en les lisant? Je me souviens qu'à l'époque étriquée de mes études, il me suffisait d'ouvrir un livre pour oublier que j'étais pauvre. Entourée de livres, je me suis toujours sentie riche, même si j'en ai vendu plusieurs à L'Échange pour boucler des fins de mois difficiles. Cela ressemblait aux Combustibles de Nothomb, je ne gardais que les écrivains qui étaient pour moi aussi vitaux que le pain. Quand on parle de l'importance de la culture, en ce qui me concerne, ce n'est pas pour faire joli dans les conversations. C'est que parfois, on en a vraiment besoin. Dans ces moments extrêmes où nous ne savons plus trop qui de l'artiste ou de son public aide l'autre, mais où il est clair que nous ne pourrions supporter l'existence tout seuls.