Une œuvre de l’artiste Annie Baillargeon, mettant en scène des adolescentes vêtues de déshabillés qui s’accrochent à des poteaux de danse pour dénoncer l’hypersexualisation du corps de la femme, a été détruite à coups de hache, sur les plaines d’Abraham, par un militant antivaccin qui y voyait de la « pédophilie » et un caractère « carrément satanique ».

Le vandale, Daniel Girard, alias Dydy Dan, a filmé et diffusé son geste en direct mardi matin sur Facebook. Il a été arrêté près de la colline Parlementaire peu de temps après, et sera accusé de méfait, a indiqué le Service de police de la Ville de Québec.

Depuis vendredi, l’œuvre en question, intitulée Indéfectibles beautés – Je suis mon présent, et je me fous du périmètre qui tente de définir ma présence, était tombée dans la ligne de mire du leader anti-mesures sanitaires Stéphane Blais, qui l’a vivement dénoncée vendredi sur Facebook en marge d’une manifestation contre la vaccination obligatoire des employés de la santé.

Ce sont des enfants sur un poteau de danseuse. Voici les tabarnaks de corrompus qui nous gouvernent, qui trouvent que c’est la culture qu’il faut laisser aller. Ces gens dégueulasses-là, c’est ça qu’on combat.

Stéphane Blais, dans une vidéo publiée sur Facebook

La vidéo de M. Blais, diffusée sur la page de sa Fondation pour la défense des droits et libertés du peuple (FDDLP), un organisme antivaccin qui poursuit le gouvernement pour faire déclarer les mesures sanitaires inconstitutionnelles, a été largement relayée sur les réseaux sociaux, notamment sur la page Facebook de Dydy Dan.

Mardi, le suspect s’est pointé devant l’œuvre d’art avec sa hache, et s’est mis à la détruire, après avoir lu différents articles du Code criminel interdisant les « actes indécents », la « corruption d’enfant » et le « leurre d’enfant ». « C’est dégoûtant, c’est aberrant, c’est dégueulasse, y’a de p’tites familles qui passent ici », s’est insurgé le militant, qui a précisé n’être affilié à aucun groupe. Sa page Facebook regorge de vidéos de leaders complotistes québécois et de désinformation au sujet des mesures sanitaires. On peut notamment y lire que les vaccins contre la COVID-19 contiennent un « mystérieux parasite » et que « le masque fait perdre 20 % d’oxygène dans le sang ».

Invitée à commenter, la porte-parole de M. Blais et de la FDDLP, Julie Lévesque, s’est dissociée de son geste. « On dénonce tout acte de violence, que ce soit à l’égard d’un objet ou d’une personne. Nous sommes un mouvement pacifique », a-t-elle dit.

L’artiste Annie Baillargeon et le Musée national des beaux-arts du Québec, qui lui a commandé l’œuvre, déplorent la situation.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

L’artiste Annie Baillargeon

Ces gens ont sauté aux conclusions sans avoir le contexte, et sans chercher à comprendre ce que les photos cherchent à mettre en lumière.

Annie Baillargeon

« Détruire une œuvre à coups de hache, c’est violent, c’est une attaque à la liberté d’expression », a ajouté l’artiste multidisciplinaire de Québec, dont le portfolio généralement féministe « propose une représentation exaltée et transgressée du corps féminin ».

Les photos étaient exposées sur les plaines d’Abraham depuis le début de juillet, et n’avaient fait l’objet d’aucune plainte du public avant la manifestation de vendredi, affirme le Musée national des beaux-arts du Québec.

Elles avaient été réalisées dans le cadre d’un atelier de cocréation avec de jeunes décrocheurs du Centre Solidarité jeunesse, dans le cadre d’un programme appelé Passerelles. « Ce sont les jeunes elles-mêmes qui ont voulu aborder le thème de la diversité corporelle et de l’hypersexualisation chez les jeunes adolescents, parce qu’elles sont prises avec ça sur Instagram, où il y a des images encore pires », a expliqué Mme Baillargeon. « L’atelier s’est passé au musée et les intervenants étaient présents. Certains ont même participé aux photos », a-t-elle indiqué.

« Ce qui m’attriste le plus, c’est l’impact que cette histoire a sur les jeunes qui ont participé à l’œuvre, a pour sa part commenté la directrice de collection du Musée national des beaux-arts, Annie Gauthier. Ça leur cause du tort, elles se trouvent jugées aujourd’hui, alors que pendant tout l’été, ces jeunes étaient dans une sorte de célébration d’elles-mêmes et de leurs choix. Elles étaient fières d’y avoir participé. »

L’œuvre d’art devait être retirée du site le 28 octobre. Elle ne sera pas reconstruite, affirme le musée.