À Londres, le Victoria and Albert Museum consacre une exposition majeure à Pink Floyd pour souligner le 50e anniversaire du groupe. Visite à jeun...

Ils ont été les héros du psychédélisme. Les papes de l'underground. Les mages du studio. Les dieux du stade.

Les voici pièces de musée.

Cinquante ans après ses débuts, Pink Floyd confirme, si besoin est, son statut d'institution en faisant l'objet d'une exposition majeure au Victoria and Albert Museum de Londres jusqu'au 1er octobre. Pour le meilleur et le moins bon.

Le moins bon, c'est qu'il n'est jamais bon pour un groupe rock d'être statufié. Mis en vitrine. Tout le contraire d'une musique qui se veut d'essence vibrante et vitale.

Le meilleur, c'est que l'exposition Their Mortal Remains est tout à fait convaincante, voire incontournable pour tout fan du Floyd en visite dans la capitale britannique.

Il faut dire que le V&A (à qui l'on doit notamment l'expo Revolution, actuellement présentée au Musée des beaux-arts de Montréal) n'a pas lésiné sur les moyens pour rendre justice à la mythique formation britannique.

Entre artefacts, films d'archives, décors reconstitués et extraits musicaux, cette exposition-événement est le «fruit d'une collaboration massive» avec l'entourage de Pink Floyd, explique la commissaire de l'exposition, Victoria Broackes, rencontrée sur place.

Les membres du groupe David Gilmour et Roger Waters «ont amené des idées à distance », dit-elle. Mais rien n'aurait été possible sans le concours du batteur Nick Mason, «qui s'est impliqué au quotidien», allant jusqu'à fournir ses vieilles chemises à jabot de l'époque Pink Floyd à Pompéi, retrouvées «dans la boîte à déguisements de ses petits-enfants!».

Cinq décennies

Their Mortal Remains couvre cinq décennies d'explorations spatio-floydiennes, des premiers concerts au club UFO de Londres aux tournées grandiloquentes des années 80.

Mais on ne se limite pas, loin de là, au simple récit chronologique. On aborde aussi le groupe sous l'angle des arts visuels, de l'architecture et des innovations technologiques, autant d'univers qui ont favorisé sa progression et son épanouissement. Fourni à l'entrée, l'audioguide ne nécessite aucun «pitonnage» et s'adapte à vos déplacements, au gré de la visite.

Le visiteur est accueilli par le bip hypnotique d'un sonar, intro bien connue de la pièce Echoes. C'est le début d'une longue plongée en apnée, qui se poursuit dans l'underground, avec une salle complète consacrée à la période Syd Barrett, premier leader du groupe, disparu après deux albums pour cause de maladie mentale. Outre les ambiances psychédéliques du club UFO, recréées pour l'occasion, les fans jouiront de voir les guitares électriques (reproduites à l'identique par le technicien de David Gilmour), des brouillons de chansons et même le vélo de Barrett, ce génie cultissime mort en 2006.

Puis, c'est le Floyd du tournant des années 70, phase de transition jalonnée de disques moins connus (UmmagummaMeddleMore). Vient ensuite l'explosion Dark Side of the Moon et Wish You Were Here, les albums qui ont fait sortir Pink Floyd de l'ombre.

La salle consacrée à Dark Side of the Moon, remplie d'instruments ayant appartenu au Floyd, se concentre sur l'incroyable travail de studio nécessaire à la réalisation de ce chef-d'oeuvre incontesté. On propose même au visiteur de remixer à sa guise la chanson Money, sur une console interactive. Un des bons flashes de l'expo.

L'espace Wish You Were Here est tout aussi instructif: on raconte la séance photo qui a mené à la pochette de l'album, où deux hommes en veston-cravate, dont l'un est en flammes, se serrent la main. Où l'on apprend que 15 prises ont été nécessaires avant que le cascadeur - ici interviewé - ne déclare forfait.

Photo fournie par le Victoria and Albert Museum

Les premières guitares de Syd Barrett ont été reconstituées par le technicien de David Gilmour.

Mégalomanie et rivière sans fin

Avec Animals et The Wall, on explore le rapport de Pink Floyd à la démesure. C'est la période des stades, des millions de disques vendus et des névroses croissantes de Roger Waters, devenu le leader mégalomane de la formation. Animaux gonflables, reproduction géante de l'usine de la pochette d'Animals, artefacts du film The Wall. Avec, en contrepoint, ce petit clin d'oeil au mouvement punk, qui, en 1977, voyait Pink Floyd comme l'ultime dinosaure du rock, malgré certaines opinions politiques en commun.

Le reste de l'expo est enfin consacré à la période post-Roger Waters, qui a quitté Pink Floyd au début des années 80, laissant le guitariste David Gilmour aux commandes.

Tout le défi est, ici, de mettre en valeur un groupe qui n'a plus rien à dire. Mais en choisissant d'aborder le contenant plutôt que le contenu, le musée s'en sort plutôt bien.

Une salle est consacrée à la création de la pochette de l'album A Momentary Lapse of Reason, tandis qu'une autre expose, grandeur nature, les statues mystérieuses du disque The Division Bell. Occasion d'en apprendre davantage sur les tournées majeures effectuées alors par le groupe.

Finale obligée, enfin, avec l'hommage au claviériste Richard Wright, mort en 2008, puis moment de recueillement en quadriphonie, avec écrans multiples, autour des chansons plus récentes de la formation, dont le plus récent (et, souhaitons-le, ultime) album, Endless River, date de 2014.

Selon ce qu'on sait, Gilmour et Mason auraient insisté pour que les plus récents travaux de Pink Floyd soient mis en valeur. Une demande à laquelle se serait prêté le musée de bonne grâce. En ce qui nous concerne, une salle en moins n'aurait pas été de trop...

«Un buzz naturel»

On peut se demander ce que Syd Barrett - Dieu ait son âme - aurait pensé d'un tel événement. Un monde sépare le groupe underground des années 60 et cette expo grand public qui résume de façon tout à fait accessible le parcours et l'oeuvre d'un marqueur de l'histoire du rock, dont l'influence n'est plus à démontrer.

Mais dans la boutique Pink Floyd située à la sortie de l'expo, on ne se posait pas tant de questions. Entre sourires et étoiles dans les yeux, l'expérience avait visiblement porté ses fruits. Un ado, venu avec ses grands-parents, était content d'avoir vu «les vraies guitares du groupe», alors qu'un boomer et sa femme plus jeune y voyaient «une bonne photographie du groupe».

Personne, du reste, ne semblait aussi satisfait que Linda Daley, 67 ans, originaire de Monterey, en Californie, venue avec une amie sur les traces de son adolescence.

«C'est LE truc que je voulais voir à Londres, dit-elle, une pile de t-shirts du Floyd entre les mains. Ça ramène des souvenirs et ça fait sentir jeune. Ce qu'on a pu tripper en écoutant ces gars-là! On en fumait du vraiment bon, vous savez. Mais ici, pas eu besoin. J'ai eu un buzz naturel!»

Photo fournie par le Victoria and Albert Museum

Syd Barrett (deuxième à partir de la gauche, entouré de Roger Waters, de Richard Wright et de Nick Mason sur la photo) a été le premier leader du groupe Pink Floyd.