Connu pour ses figurines insérées dans des décors urbains et illustrant un monde en crise, l'artiste espagnol Isaac Cordal est venu passer trois semaines à Montréal pour y créer ses installations éphémères qu'il photographie ensuite. Il en découle une exposition captivante présentée à la galerie C.O.A jusqu'au 21 novembre.

Depuis quelques années, Isaac Cordal parcourt les continents avec des bagages bourrés de ses figurines de résine. Dans les villes qu'il visite, il place ses petits hommes d'affaires tristes en costume gris et cravate noire dans des flaques d'eau, près d'objets laissés sur le trottoir ou d'un tuyau qui dépasse d'un mur...

Son travail fait un peu penser à celui de l'artiste anglais Slinkachu, mais le propos de Cordal est plus politisé, à l'image des figurines de la Montréalaise Karine Giboulo. Ses mises en scène décoratives qui théâtralisent l'espace urbain ne sont pas anodines. Poétiques, comiques ou critiques, elles transmettent un message sur la vie moderne, le capitalisme et les problèmes sociaux ou environnementaux qui affligent la planète.

Entamée en 2001, la démarche d'Isaac Cordal a acquis une certaine notoriété après que sa photo Políticos discutiendo el cambio climático (Politiciens discutant des changements climatiques), créée à Berlin en 2011, est devenue virale sur l'internet. Montrant des figurines d'hommes d'affaires discutant malgré l'eau qui les engloutit, elle se veut un symbole de l'inaction de l'Occident pour infléchir les perturbations du climat planétaire, qu'il soit atmosphérique ou économique.

Une soixantaine d'oeuvres

Depuis, Isaac Cordal reproduit plus ou moins cette scène dans les flaques d'eau des villes où il expose. Il utilise le même concept pour créer chaque fois de nouvelles images. Pour sa première expo au Canada, il a investi tout l'espace de la galerie C.O.A pour accrocher aux murs ses photos de mises en scène prises à Montréal et éparpiller des dizaines de figurines sur les murs et au sol.

Le visiteur est ainsi accueilli à l'entrée de la galerie par deux oeuvres fortes. D'abord, sur le plancher, dans un bac de cailloux gris, Isaac Cordal a reconstitué, comme pour un dessin animé, l'enfoncement dans la terre - en six phases - d'un homme d'affaires, téléphone cellulaire à la main. Tout près, sur le mur, le même personnage dort dans un piège en acier, la tête posée sur sa valise. Comme un rat.

«Ma figurine est une sorte d'image pour évoquer le pouvoir politique et financier, dit l'artiste qui a d'abord été tailleur de pierre. C'est une critique d'une certaine idée de progrès avancée par des modèles économiques qui ont échoué. Il y a un contrôle des masses et je pense qu'il serait possible de changer la vie sociale en se préoccupant moins de productivité et de concurrence.»

Les personnages qu'Isaac Cordal représente sont une évocation. D'abord, ce sont principalement des hommes, car il critique la présence insuffisante des femmes aux postes de pouvoir. De plus, ces petits hommes ne sont pas parfaits, car, dit-il, «l'homme parfait est un esclave du système».

L'exposition Inertie urbaine aborde le fait que le bien-être qu'on retire à vivre dans une ville est loin d'être assuré. «Je pense qu'il y a aujourd'hui plus de misère dans les villes qu'à la campagne, dit-il. À la campagne, il y a de la pauvreté, mais pas de misère. Ce n'est pas la même chose. En vivant en ville, on est de plus en plus coupé de la nature et de la terre.»

Isaac Cordal évoque le thème de la convivialité. La sculpture The Office représente un homme, une femme et un ado assis sur un sofa en train de consulter leur téléphone cellulaire. L'ado écoute en plus de la musique avec ses écouteurs. Dans le même état d'esprit, Addicted est un petit piège à souris où un homme d'affaires s'est fait prendre. Le morceau de fromage était une mallette...

Résidant en Belgique depuis cinq ans, l'artiste espagnol de 41 ans croit en un changement positif dans les sociétés occidentales, peut-être d'ici une génération. L'art peut y contribuer, dit-il. «Je vois l'art comme une forme de combat. Mon travail est comme une poésie visuelle, et en même temps, c'est une caricature de nous-mêmes.»

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À la galerie C.O.A (6405, boulevard Saint-Laurent), jusqu'au 21 novembre.