Qu'ont en commun un fraudeur, un poète, une vieille dame asiatique allophone, un skieur bohème, un ouvrier congédié et une ex-junkie?

Rien, a priori. Mais ils se retrouvent tous au coeur de l'oeuvre réalisée par l'artiste visuel Adad Hannah et le cinéaste Denys Arcand. Présentée au Centre culturel canadien, à Paris, Les bourgeois de Vancouver se veut un hommage à la célèbre oeuvre de Rodin Les bourgeois de Calais, mais aussi une réflexion sur la société et l'individualisme.

Six personnes qui n'ont rien en commun, sinon de la difficulté à décrocher un emploi, et qui se retrouvent à jouer, toute la journée, la représentation vivante de la célèbre sculpture de Rodin. Six tableaux filmés, six portraits indépendants, représentatifs de la mosaïque qu'est Vancouver.

«On s'est demandé: si quelqu'un décidait de faire une installation des Bourgeois de Calais, live, à Vancouver, qui engagerait-il?», raconte Denys Arcand en entrevue à La Presse, en marge du vernissage de l'exposition, à Paris.

«J'ai toujours été intéressé par les gens qui permettent que l'art se réalise. Les fondeurs de bronze de Rodin. Les modèles qui viennent poser pour Matisse. Les gens qui tissent les toiles pour les peintres. L'art, pour exister, a besoin de mille personnes obscures.»

Ainsi est née l'idée des Bourgeois de Vancouver. Il faut dire qu'Adad Hannah est depuis longtemps fasciné par l'oeuvre de Rodin. Connu pour ses nombreux tableaux vivants immobiles, l'artiste britanno-colombien a signé en 2010 l'installation vidéo Les bourgeois de Calais: Crated and Displaced, ainsi qu'une oeuvre photographique, Unwrapping Rodin.

«Je suis fasciné par la façon dont il observe et représente les gens, explique Adad Hannah. Je m'intéresse à notre relation à l'art et notre relation au corps humain. Les gens, pour moi, sont comme des sculptures, d'une certaine façon. Ils sont impénétrables.»

L'art du collage

Filmés sous la forme de documentaires, les portraits sont empreints de réalisme. On y suit chacun des personnages, qui explique pourquoi il en est venu à accepter cet emploi, sans jamais qu'on sache qui les a engagés ni pourquoi. Et, dans l'indifférence générale, ils incarnent la statue.

«C'est une fenêtre sur la vie de chacun des personnages. Tu peux mettre les pièces ensemble et comprendre qu'ils se retrouvent tous ensemble. Mais tu ne le vois pas réellement», dit Adad Hannah.

Rodin, ajoute-t-il, faisait beaucoup de ce genre de «collage». Il existe d'ailleurs des statues individuelles de chacun des personnages des Bourgeois de Calais, renchérit le réalisateur de Jésus de Montréal et des Invasions barbares.

«L'histoire en tant que telle, de 1347, les Anglais qui entourent la ville de Calais, qui elle ne veut pas se rendre, c'est aussi une fiction, explique Adad Hannah. Les six personnes qui se sont sacrifiées, c'était du théâtre. Ils savaient qu'ils n'allaient pas mourir, mais ils savaient qu'ils devaient faire cette performance. C'est cette double performance qu'on a voulu recréer. On a payé des acteurs pour jouer le rôle de gens qui sont payés pour jouer une sculpture.»

C'est la deuxième fois que les deux artistes collaborent, après leur projet commun dans le cadre de l'exposition Big Bang, en 2011 au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM). Et déjà, une complicité s'est à l'évidence tissée entre les deux.

Les bourgeois de Vancouver sera présentée au MBAM du 30 mai au 18 octobre, dans le cadre de l'exposition Métamorphoses - Dans le secret de l'atelier de Rodin, ainsi qu'au Toronto International Film Festival, en septembre.