Les Tournesols de Van Gogh semblent se faner, les touches de jaune du Cri de Munch (1910) prennent une teinte ivoire: «les chefs-d'oeuvre ne sont pas immortels», ont averti des experts internationaux cette semaine à Paris.

Ils insistent sur la nécessité d'affecter des moyens accrus à l'étude des processus d'altération des oeuvres d'art en vue d'une meilleure conservation.

«Notre héritage culturel est malade», déclare à l'AFP Robert van Langh, directeur de la conservation et de la restauration au Rijksmuseum à Amsterdam, en marge d'une conférence internationale sur les «Rayonnements Synchrotron dans l'art et l'archéologie», qui s'est tenue au musée du Louvre de mercredi à vendredi.

«Les pays devraient multiplier par dix les montants affectés» à la préservation des oeuvres, estime M. van Langh. «Ces icônes de notre culture, d'une valeur inestimable, se dégradent et si nous n'agissons pas, les générations futures ne verront pas la même oeuvre que nous», ajoute-t-il.

«Il y a des tas de chercheurs qui seraient prêts à se lancer dans ce travail mais l'argent manque», remarque Jennifer Mass, responsable scientifique au laboratoire de recherche du Winterthur Museum au Delaware.

Les synchrotrons, grands instruments permettant l'analyse de la matière à partir de l'interaction entre un faisceau lumineux (allant de l'infrarouge jusqu'au rayons X) et l'échantillon ou l'objet étudiés, sont de plus en plus sollicités pour l'art et le patrimoine.

Stopper les réactions chimiques

Les champs d'investigation des synchrotrons sont variés et ils permettent notamment d'étudier l'altération des oeuvres.

Van Gogh (1853-1890) n'a pas eu la main heureuse. Il a choisi pour ses jaunes des pigments industriels nouveaux qui se sont révélés très altérables, souligne Koen Janssens, chimiste belge de l'université d'Anvers.

Le jaune de cadmium s'oxyde en sulfate de cadmium avec l'air, perdant couleur et luminosité. Par la suite, Van Gogh s'est tourné vers le jaune de chrome, notamment pour ses Tournesols. Mais ce pigment brunit notamment sous l'effet des rayons ultraviolets.

Plusieurs laboratoires, dont celui de Koen Janssens, se sont penchés sur les Fleurs dans un vase bleu (1889) de Van Gogh, qui présente une couche sombre et craquelée en certains endroits.

Une analyse à l'aide de faisceaux de rayons X et infrarouges a permis d'établir que cette fois-ci, le coupable n'était pas le jaune de cadmium. C'est un vernis, appliqué après la mort du peintre, qui s'est détérioré, formant cette croûte opaque gris orangée qui gâte une partie du tableau.

Des images sur ordinateur permettent de montrer le tableau tel qu'il devait être lorsqu'il a été peint par Van Gogh, avec ses couleurs éclatantes.

Edvard Munch (1863-1944) a utilisé lui aussi du jaune de cadmium pour la version du tableau Le Cri de 1910, qui appartient au Munch Museum d'Oslo. Sous l'effet d'une photo dégradation, les touches de jaune ont pris une teinte ivoire.

Les peintres impressionnistes au XIXe siècle et les artistes modernes du début du XXe siècle (Matisse, Picasso...) ont eux aussi utilisé des pigments industriels comme le jaune de cadmium, le jaune de chrome, le vert émeraude ou l'outremer synthétique.

Ceux-ci ont révélé leur instabilité parfois très vite (vingt ans), parfois au bout d'un siècle. Les oeuvres de cette époque sont donc plus fragiles que celles des maîtres anciens, souligne Mme Mass.

Mais les tableaux anciens ont eux aussi leurs problèmes. Le bleu smalt, utilisé notamment par Rembrandt, a tendance à tourner au gris-brun.

«Entre chercheurs, nous travaillons à construire un modèle permettant de montrer à quoi ressembleront certains tableaux dans environ cinquante ans», indique M. Janssens.

Le but des analyses scientifiques est de «comprendre les mécanismes de dégradation, afin que les peintures soit présentées dans une lumière et une atmosphère adaptées et dans de bonnes conditions hygrométriques, pour stopper les réactions chimiques que subissent les pigments», explique Mme Maas.