Le Nobu à New York, Arthur Quentin, Simons, l'hôtel Le Germain de Montréal, le Four Seasons de Toronto, le Printemps de Paris, Tiffany, autant de lieux de prestige auxquels est désormais associé le nom de la céramiste et artiste murale Pascale Girardin. À quelques jours du lancement de son livre, La mémoire du geste, celle qui a déjà été une chef de famille monoparentale, bénéficiaire, de l'aide sociale nous raconte son drôle de parcours.

L'atelier fait 3000 pieds carrés. D'immenses baies vitrées laissent entrer une lumière laiteuse dont la couleur rappelle la vaisselle stylisée de Pascale Girardin. L'atelier, aujourd'hui, est vide. Mais il y a quelques semaines, lors de l'assemblage d'un mobile monumental en forme d'averse de paillettes dorées pour le Casino Revel d'Atlantic City, près d'une vingtaine de jeunes assistants s'activaient dans le vacarme et la chaleur des fours qui ont cuit 19 700 tuiles.

Petite, vêtue d'une robe-chemise toute simple, ses longs cheveux noirs émaillés de mèches argent, Pascale Girardin me fait visiter l'atelier. Cela fait à peine un an et demi que cette Montréalaise qui a grandi à Cleveland et à Tallahassee, a voyagé au Mexique et en Australie, avant de s'établir pendant 15 ans dans les Laurentides, est revenue à Montréal.

Il y a autant de parcours qu'il y a d'artistes. Mais certains sont plus tourmentés que d'autres. Ce fut le cas pour Pascale Girardin. Avant d'arriver à capter l'attention de la prestigieuse firme de design Yabu Pushelberg qui lui a ouvert les portes du marché international et obtenu des contrats de murales et de mobiles dans les hôtels 5 étoiles, Pascale Girardin a ramé. Et marché longtemps sur une route faite d'échecs, de fuites en avant et d'une seule constante: l'argile.

Parce que Pascale Girardin aimait la nature, elle aimait la terre et de son amour de la terre est né sa fascination pour l'argile et ultimement pour la céramique.

Quand elle étudiait les arts visuels à Concordia au début des années 80, la future céramiste a tenté à trois reprises d'être admise dans le cours très contingenté de céramique. En vain.

Mais Pascale Girardin n'est pas rancunière. Elle se décrit plutôt comme une artiste à la vocation tardive et une TCK. Une quoi? «Une third culture kid, réplique-t-elle d'un air enjoué. J'ai découvert l'expression tout récemment dans une revue américaine qui traitait du phénomène des enfants qui ont grandi ailleurs que dans leur pays d'origine et dont la culture est plus liée au pays d'accueil qu'au passeport. Ça donne des gens qui vivent dans une sorte de flou identitaire comme ce fut longtemps mon cas.»

Une «bébitte»

Aînée des deux filles d'une agente de voyages et de l'ex-directeur du département de kinésiologie de l'Université de Montréal, Pascale Girardin a mis du temps à savoir qui elle était. Au secondaire pourtant, alors qu'elle se portait toujours volontaire pour fabriquer les costumes et les décors de théâtre, l'étiquette d'artiste lui revenait de facto. Mais au cégep, elle bifurque vers les sciences de la santé, puis en biologie à l'université.

«J'avais un intérêt très prononcé pour les invasculaires, tous ces organismes qui n'ont pas de vaisseaux sanguins comme le plancton, les algues, les champignons, les bactéries. Je pensais me diriger en écologie des lacs. On vivait à Saint-Sauveur dans les Laurentides, ça allait de soi.»

Mais un jour, deux bons copains la semoncent vertement en lui rappelant qu'elle est une artiste. «Ils m'ont demandé si j'avais vraiment envie de passer le reste de ma vie à injecter des rats de laboratoire pour les tester sur des cosmétiques. Ça m'a sonnée. Le lendemain, je m'inscrivais pour un bac en arts visuels à Concordia.»

Contre toute attente, son arrivée dans le monde des arts ne fut pas heureuse. «Je me sentais bébitte. J'étais la flyée qui l'est parce qu'elle est straight à l'os. Venant du monde scientifique, je n'avais pas cultivé la flamme intérieure de ma créativité. J'étais douée, mais j'avais l'impression que je n'avais rien à dire. Bref, ça s'en allait nulle part, mon affaire, jusqu'à ma dernière année où une prof m'a poussée dans le cul et m'a aidée à vaincre une certaine pudeur dans ma création.»

Devenir artiste

Pourtant au lendemain de l'obtention de son diplôme, Girardin plaque tout et part faire le tour du monde en vivant de mille petits métiers. Au retour, deux ans plus tard, elle a 29 ans, pas de plan de carrière et un bébé qui pousse dans son ventre. «Un jour, alors que j'étais enceinte, j'ai pensé à ce que mon fils dirait si on lui demandait ce que fait sa mère. Je l'ai imaginé répondre: c'est un peu une artiste. Et ç'a été comme une gifle. La dernière chose que je voulais, c'est d'être un peu artiste.»

Ce deuxième réveil plonge la future mère qui vit de prestations d'aide sociale dans une quête frénétique de sens qui aboutit au Centre de céramique Bonsecours. C'est là qu'elle s'initie à la céramique et se découvre une passion dévorante pour l'argile. Puis grâce à un programme de soutien à l'emploi autonome du gouvernement, à une bourse de 12 000$ et un prêt de 5000$, elle lance du sous-sol de son bungalow à Saint-Sauveur une petite entreprise de vaisselle, de vases et d'objets décoratifs.

«Tout le monde me disait: la céramique, wouach, c'est quétaine, c'est granole. Mais moi, j'avais vu des choses raffinées en céramique, notamment chez les Japonais et j'ai décidé de ne pas les écouter.»

Sage décision. En 1996 ,alors que le Salon des métiers d'art s'enlise dans la culture du macramé et de la terre cuite brune, Pascale Girardin s'y pointe avec sa céramique japonisante lumineuse et ses assiettes carrées. L'acheteur de chez Arthur Quentin craque pour sa vaisselle. C'est son premier client. Les restos de sushis Soto, son deuxième. Holt Renfrew et Marie Saint Pierre suivront. Puis, déterminée à percer aux États-Unis, elle obtient un rendez-vous avec l'acheteur du célèbre resto japonais Nobu à New York. Elle part à 4h du matin de Saint-Sauveur en auto avec ses échantillons et revient avec une commande de trois douzaines de petites assiettes pour la section VIP.

Carrière internationale

Un an plus tard, Pascale Girardin commence à avoir envie de déployer ses ailes ailleurs que dans la vaisselle. La commande d'une murale pour Soto à Tremblant arrive comme une bouffée d'air frais et un nouveau défi.

«J'étais rendue là, dit-elle, à travailler dans de plus gros formats et à sentir que je n'étais plus juste une artisane, mais aussi une artiste.»

Ses nouvelles ambitions l'amènent au salon du design à Toronto. Un des agents recruteurs de la firme Yabu Pushelberg tombe en pâmoison devant ses feuilles de bananier en céramique et décrète qu'il veut les mêmes pour le nouveau restaurant chinois du Mirage à Vegas. Pascale Girardin est aux oiseaux. Un contrat avec un client aussi prestigieux, c'est le gros lot. Elle attendra pendant un an qu'on la rappelle, en se rongeant les sangs tellement elle manque d'argent. L'appel et la commande de 50 000$ arrivent à point nommé. C'est le début d'une très fructueuse association qui lancera sa carrière internationale de muraliste.

Depuis, les contrats à l'international se sont multipliés, lui permettant de vivre de son art et de son argile et d'en faire profiter des douzaines de jeunes stagiaires. Elle décrit son atelier non pas comme une ruche, mais comme une voilière où vont et viennent des oiseaux qui sont peintres, musiciens et céramistes. C'est pour eux qu'elle a voulu écrire La mémoire du geste, pour partager une vision plus intime de son art et peut-être aussi pour que, si jamais quelqu'un demande à son fils ce que fait sa mère, il n'hésite pas à répondre: artiste. Un peu, beaucoup, passionnément.