Le Conseil des Arts du Canada a dévoilé, ce mardi à Toronto, les noms des huit lauréats des Prix du Gouverneur général en arts visuels et médiatiques. La photographe montréalaise Geneviève Cadieux est le seul artiste du Québec récompensé cette année par ces prix accompagnés chacun d'une bourse de 25 000 $.

Rencontrée par La Presse la semaine dernière, Geneviève Cadieux était ravie d'être honorée. «Je suis très contente, dit-elle. J'étais surprise, car je ne savais pas que Marie Fraser (conservatrice en chef du Musée d'art contemporain de Montréal (MACM)) avait soumis mon nom. Les prix et les ventes d'oeuvres rendent les artistes très heureux!»

Connue pour sa photographie frontale hyper réaliste, l'artiste de 55 ans s'est frottée à d'autres formes d'art: le bronze, l'installation sonore, le métal et le verre. Mais la photographie est son «matériau».

Figure emblématique de Montréal - et sans doute son oeuvre la plus connue des Québécois - sa photographie immense La Voie lactée, qui représente des lèvres de femme, orne le toit du MACM. Des lèvres dont elle s'est inspirée pour créer La Voix lactée, lèvres de verre en mosaïque qui seront appliquées en août dans un corridor laiteux du métro parisien aux côtés de vers d'Anne Hébert.

Geneviève Cadieux crée en effet cette oeuvre d'art public de 7 m x 3 m pour le métro de Paris. Pour cela, elle travaille avec les ateliers Mayer de Munich afin de reconstituer les lèvres célèbres avec 250 000 petits morceaux de verre.

Très tôt éveillée à l'art, notamment à Ottawa grâce à son père qui avait un cinéma de répertoire, Geneviève Cadieux a d'abord embrassé le langage de l'abstraction des Yves Gaucher, Guido Molinari ou Claude Tousignant. Très proche du mouvement Arte Povera, elle a été inspirée par la liberté d'utilisation des matériaux.

Elle a fait sa marque dans les oeuvres en gros plan et de taille spectaculaire. «L'échelle est une question d'aisance, dit-elle. Dans l'atelier, on vérifie des choses. On se sent à l'aise avec un style plastique puis des raisons esthétiques s'imposent.»

Des arrêts sur image, des portraits, notamment de sa soeur Anne-Marie, des photos macro et des installations interactives célèbrent sa première passion artistique: le corps humain. Sa passion est charnelle autant qu'intellectuelle et médicale, une passion pour les blessures, un côté alors mélancolique né d'épisodes familiaux malaisés. Une passion de femme aussi, ancrée dans un féminisme de découverte de sujets inédits au féminin.

«Ce qui m'intéressait, c'était la parole féminine, l'émotion féminine et ma perception de la femme, dit-elle. Je m'intéressais à Duras, Sarraute, Anne Hébert.» Voices of Reason/Voices of Madness (1984), achetée par le Centre Georges-Pompidou de Paris, ou Hear Me With Your Eyes (1989) naissent de cette période où Cadieux veut faire entendre «la voix de l'image photographique».

Sa pièce charnière - qui marque son passage du corps au paysage naturel - demeure Trou de mémoire, la beauté inattendue (1988), un examen biologique d'une cicatrice féminine, blessure du paysage corporel placée près d'un miroir qui jouait, avec le spectateur, le rôle de l'image photographique virtuelle.

Son passage à la Biennale de Venise, en 1990, où elle représente le Canada avec La Fêlure, au choeur des corps, un baiser pris entre deux cicatrices, jalonne le début de sa carrière internationale. Elle verse alors son dévolu sur le «corps du ciel» et des photos de paysages évocatrices. Portrait - la photo d'un arbre - est repris en vidéo sur Times Square, à New York. Blind, champ de neige dans le froid et le vent, marque l'esprit nordique. Plus récemment, Rivière noire (2009), est une oeuvre théâtrale angoissante, une eau de fin du monde, noire comme la neige meurtrière façon Aquin.

Représentée à Montréal par René Blouin, Geneviève Cadieux a aussi créé Lierre sur pierre, placé sur un mur de l'Université Concordia, rue Guy. L'oeuvre immense en acier inoxydable est ironique et humaniste, reprenant le symbole du lierre des universités élitistes américaines pour l'appliquer à l'université la plus multiethnique de Montréal, un message universel d'ouverture.

Professeure agrégée à Concordia depuis 2002, elle a encore plein de projets. Avec sa soeur, elle travaille sur une vidéo sur le kata des arts martiaux japonais. Elle participera à un projet aux États-Unis avec l'Américaine Kiki Smith et exposera au Musée des beaux-arts de Montréal l'an prochain.

«Je me sens plus mature et plus libre que jamais, dit-elle. Bien sûr, l'angoisse de l'artiste - est-ce que j'ai tout dit? Est-ce que je vais encore créer? - est toujours là mais je fais confiance à mon intuition. Ce qui m'intéresse aujourd'hui, ce sont les nouvelles expériences pour sortir de ma sphère de confort».