Jean Leclerc redeviendra Jean Leloup le 29 août au Relais du Lac-Beauport, dans son premier concert en presque cinq ans. Un pow-wow où il célèbrera 400 ans «d'imbécillité blanche» en invitant la foule à se déguiser en Amérindien ou en reine d'Angleterre. À l'aube du lancement cet automne de son nouveau disque (le titre est à venir) puis de son film Karaoké Dreams, rencontre avec le grand chef des insoumis.

Si la liberté consiste à ne pas trop se répéter souvent, Jean Leloup est souverainement libre. Libre d'écrire des livres, de tourner des films ou de pondre des chansons quand il veut. Libre de fustiger ceux qui l'ennuient de près ou de loin. Libre aussi de ne coller à aucun plan, à part de celui de ne jamais baisser son pantalon et de s'en enorgueillir jalousement.

Peut être que cela explique pourquoi il paraît si pimpant en ce jeudi après-midi pour notre interview. Teint halé, silhouette svelte, bracelet ramené du Vietnam et coquet chandail de coton vert-blanc légèrement déboutonné qui dévoile de premiers poils gris. Leloup semble allègre et gai. Même cabotin. Et vieux de 47 ans déjà, un âge que seule sa rosette laisse aussi deviner.

Dans un restaurant de l'Île-des-Soeurs, le roi pompon divertit longuement une cour d'employés-admirateurs avec ses élucubrations et ses grands instants de lucididité, avant de finalement commencer l'interview.

«Jean Leloup, j'ai toujours associé ça à une job à temps plein, raconte-t-il. À chanter des hits pour faire applaudir les nostalgiques. C'est pour cela que j'ai arrêté puis changé de nom. Mais les gens se forçaient pour dire Leclerc. Bon, s'ils veulent m'appeler Leloup, c'est o.k. aujourd'hui. L'important pour moi, c'était de tout péter et d'arrêter un instant.»

Chose faite il y a presque cinq ans quand les restes calcinés de sa Fender Jazzmaster 1959 Sunburst ont coulé au fond de la rivière Yamaska, emportant les cendres de sa vieille identité. Quatre ans plus tard, il retourne à Leloup.

«Mais je ne retourne pas à la chanson, lance-t-il, un cigarillo à la main. J'ai seulement cessé les concerts plates. Est-ce que j'ai prouvé que je pouvais arrêter même si on m'offre de l'argent? J'espère. Va-t-on me croire que je n'en ai rien à crisser de l'argent?»

Idem pour les offres du 400e de Québec, qu'il a refusées plus tôt cette année. «Chanter simplement mes tounes comme on me le proposait, je suis incapable. Autant dormir. Et puis en me promenant à Québec, j'ai trouvé le 400e fort dull. Tu peux dépenser 4 millions, mais quatre millions de fois zéro, ça donne zéro quand même.»

Peu après ce printemps, un groupe de promoteurs l'a pressenti pour organiser un concert en marge du 400e. Cette fois, l'offre ne se refusait pas. «Ils m'ont dit: t'aimes ça, créer des événements? Organise ce que tu veux, on te donne du budget. Ça voulait dire: on te donne tout ce que tu veux, alors pourquoi tu chiales? Ça m'a gêné. Je me sentais bébé gâté de refuser.»

Surtout qu'il a imaginé un concept «génial», poursuit-il. «En passant devant une boutique souvenir, j'ai pensé à une fête d'Indiens. Je ne veux pas faire chier le monde, mais disons que le 400e, ils n'ont pas trop pensé à eux. Moi, je vais célébrer la victoire financière des Blancs et leur défaite spirituelle.»

Indien contre Longueuil

Son budget, il l'utilisera pour «se payer un fun noir» avec la troupe de danse Motardanse (Esther Gaudette, David Rancourt) et le guitariste Steve Hill et ses Sauvages du Nord, dans une facture très rock de ses vieilles chansons et même de quelques inédites. Pour ce pow-wow, les membres de la bande s'habilleront en Indien ou en reine d'Angleterre. Leloup a même déniché des habits et bijoux dans la boutique Wolf's Den de Kahnawake. Des chapeaux en plume, des vestes-armures en os et plusieurs autres vêtements traditionnels. Et il invite la foule à en faire autant.

«Dans ce contexte-là, je pourrai jouer Isabelle et m'amuser quand même. Imagine, man, des milliers d'Indiens et de reines d'Angleterre! Je pourrais donner la photo au Musée d'art contemporain, ce serait ma version du 400e. Ma célébration de 400 ans d'imbécillité blanche.»

Rien de trop politique toutefois dans son geste. «Ce n'est pas une question de solidarité, rectifie-t-il en avalant une gorgée de rouge. Pour moi, l'Indien, c'est un symbole. C'est celui qui ne veut pas que le monde se transforme en un gros Longueuil, qui trouve que le monde est plus beau sans le gros cash, la grosse Corvette et la petite quéquette.»

Leloup l'Indien, c'est le triomphe de l'instinct. Du riche insoumis, «parce que le pauvre, c'est celui qui liche le cul de ceux qui n'ont pas de bon sens». De celui qui se laisse frapper par l'étrangeté des choses et qui frappe sur les choses insensées.

«Je vais te conter une histoire, lance-t-il. Un jour, des Blancs ont tué un troupeau de bisons au complet uniquement pour leur langue. Ils ont laissé la viande pourrir. Sitting Bull leur a dit: Réalisez-vous que vous venez de tuer notre bouffe pour un hiver complet? Vous avez vraiment la tête dure. Pour que vous compreniez, on va en tuer une gang parmi vous. Cette avidité blanche empire. Pourquoi tu veux toujours tout pour toi? Notre mode de vie foire.»

Il prend une brève pause. «Je ne sais pas pourquoi je parle de ça Je m'emporte un peu, pardon.»

Pendant que la terre tourne

Avec l'argent de la musique, Leloup voyage beaucoup depuis quelques temps. Dans les endroits reclus et mêmes dans quelques villes mornes.

«Dans une ville plate raide d'Australie, j'ai décidé de rester assis une semaine sur un banc. Je voulais comprendre pourquoi c'était si plate. Comme je n'avais rien d'autre à faire, je voulais comprendre dans quelle Terre je vivais.»

Autres endroits visités: une île de 200 personnes au nord de Tahiti et un village perdu dans une montagne du Vietnam. Tous des endroits qui l'ont mis en contact avec d'autres façons d'exister. D'autres possibles.

«Ça m'a donné l'impression que les Occidentaux deviennent des comptables obèses dépendants des machines. On ne sait rien faire de nos 10 doigts. Une panne d'électricité arrive et on serait cuits. Je me suis aussi demandé pourquoi, avec 100 000$, ces gens-là font de meilleurs films que nous avec 10 millions. Eux ne gaspillent pas 10 millions pour faire frencher deux niaiseux dans un film qui sert à endormir les gens dans les avions. Ça me gêne, pour mon peuple. Et il n'y a rien que je déteste plus que de me sentir gêné.»

Leloup est retourné au Vietnam et à Bangkok avec six acteurs pour réaliser son premier long métrage, Karaoké Dreams (anciennement Ice Cream, mettant en vedette Huy Phong Doan et Violette Chauveau). Dans cette histoire «complètement psychédélique», une pute crève les yeux d'un travesti. Les deux refont leur vie. Le travesti rencontre la sainte Vierge et un neveu, dont il prend la charge. Neveu qui lui rencontrera ensuite la pute. Pendant ce temps, dans la même ville, un jeune bourgeois obèse subit les foudres de son père, qui veut en faire un militaire.

«Si c'est burlesque ou dramatique? Tout ça, répond Leloup. C'est fucké, en fait. Je me suis roulé à terre de plaisir en tournant la scène finale dans la rizière avec ma petite caméra HD.»

Car Karaoké Dreams n'a reçu aucune subvention de «papa gouvernement». Recevoir la visite d'un ver solitaire lui aurait autant plu. «Les institutions m'ennuient, elles m'ennuient, elles m'ennuient, avec leur paperasse et leurs choses plates. Moi, je fais mes trucs seul avec peu de budget, je m'amuse comme un cochon et j'exige qu'on ne m'emmerde pas. Je ne veux rien savoir d'une équipe de 40 camions remplis de gars qui attendent leur chèque.»

Le montage est terminé à 75%. Select le distribuera en DVD, et FunFilms (Cinémaginaire) risque de le sortir en salle. «Au début, je pensais qu'aucune salle n'oserait le présenter. Le thrill, c'était de le faire quand même», s'emballe-t-il. Puis il change de place et vient s'asseoir à côté de nous.

«Maintenant, on a le weapon technologique. S'ils sont trop plates, on le sortira quand même sur l'internet. On est libres, putain. C'est l'attaque de la liberté à travers Internet. Nous allons gagner, rigole-t-il avant de reprendre son souffle Non, nous ne gagnerons pas, car comme d'habitude nous sommes trop joyeux.»

Elle joue et elle rince

Depuis son retour du Vietnam, Leloup se réveille tôt pour battre l'aube et jouer avec sa guitare achetée au luthier Jacques Simoneau.

«Elle rince, sa guitare! Je joue et je joue et je joue depuis un an, je n'arrête pas, quatre heures par jour. En composant la musique du film, j'ai accumulé pas mal de matériel. Des amis m'ont dit: prends cette musique-là, fais un disque, on sort le disque et on sort le film, voilà.» Voilà. Le disque devrait paraître cet automne. Un premier extrait, Le roi se meurt, est déjà disponible sur son site internet au www.roiponpon.com.

«Ma façon de composer a changé. Des tounes, j'en ai fait sans me rendre compte, seulement en improvisant et en trippant. Sans le vouloir, je me suis trouvé avec 14 ou 20 chansons. Ça commence à ressembler à quelque chose qui a de l'allure.»

Le travail en studio commence bientôt. Comme au Lac-Beauport, Steve Hill et sa bande l'accompagneront. L'album s'annonce plus rock, et les textes plus courts. «J'ai réduit mes paroles à un ou deux paragraphes. Je parle trop, j'en ai marre. Je suis épouvantablement verbomoteur», confesse-t-il.

Plus courts, les nouveaux textes. Et plus près de ses racines québécoises qui ont poussé après une enfance au Togo et en Algérie. L'un de ces textes explique ce qu'il faut savoir quand on se trouve à l'étranger sans argent. Un autre parle des choses indispensables qui doivent se trouver dans sa valise. Il y a aussi quelques lignes sur l'art d'envoyer chier son prochain. L'ensemble s'annonce moins sombre que Mexico.

«Mais une ou deux pièces seront quand même dark en chien, poursuit-il. Une parle de Lucie Bergeron, née dans une famille de malades mentaux, qui décide de faire tuer ses parents. Ça, c'est une histoire! Je suis un maniaque d'histoires. Si tu veux me fermer la gueule, ne m'expose pas tes théories abstraites. Dis-moi ce qui s'est passé, ce que portait le gars, comment il marchait... Oublie la psychologie de cuisine des couples du Mile-End.»

Prochaine étape après le disque et quelques probables concerts en hiver 2009: un voyage en Mongolie et dans d'autres endroits reculés, à la recherche des «dernières tribus primitives». «Je veux jouer de la musique avec eux et tourner des images, explique-t-il. Je cherche les dernières non contaminées par l'impression qu'elles sont incapables de prendre soin de leur cul.»

En concert le vendredi 29 août au Centre Le Relais de Lac-Beauport, dans le cadre de l'International Week-End Budweiser. Billets sur www.ticketpro.ca