Ils sont en ville et se préparent à livrer, dans le cadre du Festival Juste pour rire, la version du Malade imaginaire vue par le défunt metteur en scène Claude Stratz. Pralon, alias Argan, Catherine Hiegel, alias Toinette, et les autres sociétaires et pensionnaires de la Comédie-Française laisseront sur la scène du Théâtre du Nouveau Monde un peu de l'héritage de Molière, le «patron» des comédiens français. Un Malade imaginaire crépusculaire et tragicomique, nous promet-on. Et, bien sûr, un événement rarissime qu'aucun mordu de théâtre ne saurait rater.

Que symbolise la Comédie-Française aujourd'hui? Nous avons posé la question à des acteurs et metteurs en scène qui se sont frottés à la vaste et inépuisable oeuvre de Molière.

Serge Postigo

Le comédien et animateur de Ça manque à ma culture n'a pas encore eu la chance d'assister à une production de la Comédie-Française. Qu'à cela ne tienne : il a toutefois accepté d'endosser un rôle de porte-parole de cette visite tant attendue. «La dernière fois que cette troupe est passée par Montréal, j'avais 24 ans. Et j'imagine que la prochaine fois, j'en aurai 65! Cela dit, j'irai la voir pour plusieurs raisons. Pour moi, la Comédie-Française est d'abord une troupe qui existe depuis 328 ans. C'est donc tout un pan de l'histoire qui vient nous voir. Personne n'a la vérité sur Molière, mais la Comédie-Française demeure la troupe avec la plus grande tradition.»

Pour l'élite, Molière? Tout le contraire, défend Serge Postigo, qui espère que la Comédie-Française saura attirer un large public. «Molière écrivait pour le peuple, pas pour la cour. Les gens se reconnaissaient et se sentaient représentés à travers les paroles et la vivacité dramatique et linguistique de cet homme.»

Carl Béchard

Chaque fois qu'il séjourne dans la Ville lumière, Carl Béchard s'offre un pèlerinage à la Comédie-Française. Pour le comédien qui, en 2005, signait une mise en scène du Malade imaginaire pour le TNM, une soirée à la Comédie-Française donne l'heure juste quant à l'évolution du regard porté sur Molière. Dans la «maison de Molière», poursuit Béchard, une tradition orale et un jeu se transmettent et évoluent depuis des siècles à travers des metteurs en scène, acteurs et actrices.

«J'ai vu la magnifique et très raffinée mise en scène de Claude Stratz du Malade imaginaire. Ce travail est à l'image d'une forte tendance en France, qui consiste à monter Molière de façon plus sombre qu'il ne l'est. Ils assombrissent, mais dans le bon sens : leur Scapin était plus fatigué que primesautier, leur Bourgeois âgé et fragile... Tandis qu'ici, on a davantage le besoin et le goût que les comédies restent des comédies. Cela dit, la Comédie-Française reste ouverte sur les courants actuels en France et ailleurs. Elle effectue une lecture vivante de la tradition.»

Catherine Hiegel

La blonde actrice à la voix éraillée est rentrée à la Comédie-Française en 1969. Pour elle, l'esprit de troupe qui règne dans cette compagnie est un atout irremplaçable. «Même si ce n'est pas la seule façon de faire du théâtre, c'est merveilleusement enrichissant de travailler ainsi. On se connaît, on transpire ensemble... Une fois que les gardes sont tombées, on travaille plus vite et avec une meilleure efficacité. Si bien que lorsqu'un metteur en scène de l'extérieur est sollicité pour travailler avec nous, il est généralement frappé par notre puissance de travail. On ne perd pas de temps à faire connaissance, pour mieux se lancer dans le travail», fait valoir l'interprète de Toinette.

Tantôt au jeu, tantôt à la mise en scène - elle a monté Le misanthrope, Les femmes savantes et L'avare - Catherine Hiegel a consacré sa carrière à explorer les vices et les défauts révélés par Molière. «Il faut trouver la raison et l'humanité de ces êtres, même s'ils sont des monstres. »

Alain Pralon

De la mise en scène du regretté Claude Stratz, l'interprète d'Argan, alias le Malade imaginaire, dit qu'elle «cherche la vérité dans les personnages, sans passer par la farce ou la bouffonnerie.» «Ce que l'on retient aujourd'hui est le rapport à la maladie, de Molière. Son hypocondrie révèle comment chacun porte en soi une peur de la maladie, de la mort, de la souffrance. Stratz a fait d'énormes travaux sur le texte pour voir exactement ce que Molière voulait dire», évoque Alain Parlon, joint à Paris.

Membre de la Comédie-Française depuis 1965, Pralon revêtira les habits d'Argan pour la 300 e fois, sur la scène du TNM. «Le décor a été imaginé comme un vieil hôpital désaffecté. Un homme vit en autarcie. Il a peur de tout le monde, des maladies. Les murs semblent avoir été passés à la chaux, comme s'il s'agissait d'un vieux palais vénitien. Emmuré dans son fort, il a peur des courants d'air et de tout ce qui peut se dire ailleurs.»

Cette production du Malade imaginaire a été recréée à New York, en France, en Europe, en Hollande, en Espagne... Ce qui caractérise la pièce, soutient Alain Pralon, est «son atmosphère particulière, crépusculaire, tragicomique. Même si on tend vers le tragique, le comique ressort.»

Le malade imaginaire, de Molière, par la Comédie-Française, jusqu'au 26 juillet au Théâtre du Nouveau Monde.