Avec Pierre Bourgault, l'art s'affirme comme une activité mentale autant que le résultat d'un travail d'atelier. Son oeuvre est à la fois en rupture avec la tradition et celle d'un homme du pays. Rencontre avec le plus original des sculpteurs de Saint-Jean-Port-Joli.

Depuis 1982, Pierre Bourgault a réalisé une vingtaine d'oeuvres d'art public sans compter sa participation à maintes expositions et autant d'événements artistiques ici et à l'étranger. Il a une pratique d'atelier constante depuis les années 60 et il a été de tous les événements importants en sculpture au Québec.

L'artiste a resurgi dans l'actualité récemment lors de l'arrivée controversée de Latitude 51° 22' 50 sur la promenade Samuel-De Champlain au printemps dernier. Depuis, les gens ont pris la sculpture d'acier en affection et témoignent régulièrement son attachement au sculpteur, faisant mentir ses détracteurs.

«L'art public, on a beau le critiquer disant qu'il y a beaucoup de choses qui ne sont pas bonnes, dit-il d'emblée, mais on est les seuls en Occident à continuer à faire de l'art public démocratique avec un système qui impose ses règles. Il faudrait faire un test et demander aux gens : Est-ce que vous avez déjà vu une oeuvre d'art? Ils diraient tous oui.»

«L'art pose des questions sans donner de réponse» rappelle Bourgault devant la sculpture Clam view installée aux abords du Centre d'épuration des eaux de la Ville de Québec, près de la baie de Beauport depuis 1996, un bateau-poisson transparent doublé d'un entonnoir géant. «Loin de n'être que le porte-voix du capitane de goélette, l'entonnoir est aussi le symbole du délire de l'art», écrivait-il lors de la présentation de son projet en 1996. «Bosch en a fait le symbole de la folie», rappelle-t-il devant cette forme qui est aussi un petit abri, un filtre, un canon.

De l'entonnoir géant, on voit l'église de Beauport. «Il y a toujours un petit côté subversif à mes affaires», affirme le sculpteur. La petite place circulaire a été couverte de pierres blanches du calcite de Mistassini. Le squelette du poisson-bateau c'est celui d'un poisson, le bar disparu du fleuve à l'époque. Rien n'est anodin avec Pierre Bourgault : «On commençait à faire de l'épuration des eaux au Québec à ce moment-là. On a tellement épuré pour que tout soit blanc. On a pollué tellement pour avoir tout blanc!»

Cette sculpture est signée Pierre Bourgault-Legros. En 1991, l'artiste a changé de nom. Il s'expli­que là-dessus : «C'était pour reconnaître que c'est la grand-mère Émilie Legros qui avait donné le sens poétique à ses fils. Mon père vient d'une famille de fabricants de meubles. Et puis, le nom des Bourgault est devenu tellement connu qu'à un moment donné, il se vendait n'importe quoi sous ce nom.»

L'artiste et ses origines

Pierre Bourgault est le fils de Jean-Julien Bourgault, un des trois sculpteurs de Saint-Jean-Port-Joli, avec André et Médard, qui ont fait du village un haut lieu de la tradition de la sculpture sur bois au Québec. Très jeune, il a appris la taille directe sur bois. «Pour les historiens de l'art, je suis un dissident. Mais moi, je ne suis pas d'accord avec eux : J'ai toujours admiré les Bourgault!»

La sculpture de Pierre Bourgault rappelle toute la force d'évocation des formes et combien peut être troublante leur remise en question. Comme il le dit si bien : «Pour accepter de fréquenter l'art, il faut accepter d'avoir le vertige.»

La vie près du fleuve Saint-Laurent colore toute l'oeuvre du sculpteur et des commentaires sur la religion catholique reviennent régulièrement comme un autre ancrage de l'artiste sur le territoire québécois. Il en est ainsi dans la sculpture flottante (une anticroix) installée à l'Espace 400e dans le bassin Louise.

«Tout mon travail est basé sur l'horizontalité et se confond avec la Terre. Pour le monde, explique-t-il, l'art doit être distant. Il faut que les sculptures soient à la verticale. La verticalité est anthropomorphique et nous élève vers les dieux. Pour moi, l'horizontalité, ce n'est pas juste physique : c'est philosophique.»

Tous les jours, du 5 au 10 août, à 17h, Pierre Bourgault sera à l'Espace 400e avec Guy Sioui-Durand et son Zodiac et offrira au public des dessins “automatistes” réalisés sur place par les chemins que prendra son embarcation sur le fleuve Saint-Laurent.

Jusqu'au 13 octobre le parcours de la navette Industrielle Alliance (l'autobus 400) permet d'aller voir les sculptures de Pierre Bourgault, de la promenade Samuel De Champlain jusqu'à la Baie de Beauport.