Pendant plus de 50 ans, les concepteurs de puces informatiques ont utilisé le même truc pour doper la performance : miniaturiser les composants électroniques pour concentrer plus de puissance sur le silicium.

Puis, vers 2010, les ingénieurs du fabricant de puces Advanced Micro Devices (AMD) ont eu une idée radicale. Au lieu d’un gros microprocesseur composé d’un grand nombre de transistors, ils ont imaginé d’en créer un à partir de puces plus petites étroitement liées et fonctionnant comme un cerveau électronique.

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Un laboratoire de l’entreprise Advanced Micro Devices, à Austin, au Texas

La puce fragmentée (chiplet, en anglais) a connu un grand succès : AMD, Apple, Amazon, Tesla, IBM et Intel ont lancé des produits de ce type. L’adoption a été rapide parce que les puces plus petites coûtent moins cher et que, groupées, elles sont plus performantes.

Ce concept, basé sur une technique d’empaquetage sophistiquée, est devenu essentiel au progrès des semiconducteurs. Il a révolutionné ce secteur à l’épicentre de l’innovation dans des domaines comme l’intelligence artificielle (IA), la voiture autonome et le matériel militaire.

« C’est dans l’empaquetage que tout va se jouer. C’est le seul moyen », affirme Subramanian Iyer, professeur d’ingénierie électrique et informatique à UCLA, qui a participé à l’élaboration du concept des puces fragmentées.

Un marché dominé par les pays d’Asie

Le problème, c’est que ce procédé, comme la fabrication des puces elles-mêmes, est le pré carré des entreprises asiatiques. Les États-Unis produisent 12 % des semiconducteurs, mais les sociétés américaines font seulement 3 % de l’empaquetage des puces, selon l’association professionnelle IPC.

Cette situation a tiré les chiplets au cœur de la politique industrielle des États-Unis. La loi CHIPS, un programme de subventions de 52 milliards adopté l’été dernier, est une initiative du président Joe Biden visant à revigorer la fabrication nationale de puces en finançant la construction d’usines sophistiquées. Mais la loi vise aussi la construction d’usines d’empaquetage pour que les États-Unis aient une plus grande part de ce procédé essentiel.

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Le 9 août 2022, le président Joe Biden a signé la loi CHIPS, un programme de subventions de 52 milliards visant à revigorer la fabrication nationale de puces en finançant la construction aux États-Unis d’usines sophistiquées.

« À mesure que les puces se miniaturisent, l’empaquetage – la façon dont elles sont disposées – gagne en importance et ça doit se faire ici », a déclaré la secrétaire américaine au Commerce, Gina Raimondo, dans un discours prononcé à l’Université de Georgetown en février.

Le département du Commerce accepte désormais les demandes de subventions à la fabrication en vertu de la loi CHIPS, pour les usines d’empaquetage de puces. Des fonds sont prévus pour la recherche de pointe en empaquetage.

Certaines entreprises se sont ruées sur ce financement. Integra Technologies, de Wichita, au Kansas, a annoncé un projet d’expansion de 1,8 milliard de dollars, conditionnel à des subventions fédérales. Amkor Technology, de l’Arizona, qui fait presque tout son empaquetage en Asie, affirme qu’elle discute avec des clients et le gouvernement en vue de produire aux États-Unis.

À l’origine, ces procédés étaient très manuels : il y a un demi-siècle, les entreprises de la Silicon Valley ont donc délocalisé l’empaquetage en Asie, où les salaires sont moins élevés. La plupart des puces sont acheminées par avion vers des services d’emballage situés à Taïwan, en Malaisie, en Corée du Sud et en Chine.

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Des techniciens à l’œuvre sur des puces électroniques de pointe chez Promex Industries, dans la Silicon Valley, à Santa Clara, en Californie

Depuis, les progrès en empaquetage ont gagné en importance parce que la loi de Moore, qui a stimulé le développement de la Silicon Valley, est moins vraie qu’avant. Cette loi (qui est en fait une simple extrapolation) doit son nom à un article écrit en 1965 par Gordon Moore, cofondateur d’Intel. Elle stipule que les ordinateurs deviennent au fil du temps plus petits, plus rapides et moins chers, à mesure que les puces deviennent plus efficaces.

Moore avait décrit comment les entreprises avaient doublé le nombre de transistors sur une puce typique, permettant d’améliorer les performances tout en réduisant les coûts.

Des usines à 20 milliards de dollars

Or, aujourd’hui, les transistors plus petits ne sont pas nécessairement moins chers : construire une usine de puces de pointe coûte entre 10 et 20 milliards ; concevoir les grosses puces complexes coûte cher ; les défauts de fabrication sont plus fréquents. Et ce, alors que les entreprises d’IA voudraient des puces contenant plus de transistors que ce qu’il est actuellement possible de fabriquer.

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Des puces électroniques en fabrication chez Promex Industries, dans la Silicon Valley, à Santa Clara, en Californie

Synopsys, un concurrent, dit s’occuper de 140 projets visant à empaqueter des puces multiples liées. Selon le cabinet d’études de marché Yole Group, jusqu’à 80 % des microprocesseurs utiliseront des puces fragmentées d’ici à 2027.

Aujourd’hui, chaque entreprise conçoit elle-même ses puces fragmentées et sa technique de connexion. Mais des groupes sectoriels élaborent des normes communes qui permettraient aux entreprises d’empaqueter plus facilement des puces fragmentées provenant de différents fabricants.

Subventions ouvertes aux firmes canadiennes

En mars, le président Biden a décrété que l’empaquetage de pointe et la production nationale de circuits imprimés étaient essentiels à la sécurité nationale. Il a annoncé un financement de 50 millions de dollars en vertu de la Loi sur la production de défense. Le programme est ouvert aux firmes américaines et canadiennes.

Même avec ces subventions, réduire la dépendance des États-Unis à l’égard des entreprises asiatiques « est un énorme défi », a déclaré Andreas Olofsson, qui a dirigé un effort de recherche du département de la Défense dans ce domaine avant de fonder Zero ASIC, une petite entreprise spécialisée en empaquetage. « Pas de fournisseurs, pas de main-d’œuvre, pas d’équipement. Il faut pratiquement partir de zéro. »

Cet article a été publié dans The New York Times.

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